Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/341

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Louis Le Cardonnel est, peut-on croire, perdu pour la Poésie. Ce poëte s’est fait prêtre. Fallait-il que la preuve fût ainsi donnée de la sincérité du mysticisme de la jeune Littérature ? Le futur dira comme l’Église saura glorifier sa propre vitalité ou témoignera de sa mort, en laissant le poëte très pur, qui ne peut être effacé déjà dans le très pieux lévite, authentiquer sa foi par l’art inoublié, — ou en éteignant l’art et l’artiste. — À titre donc au moins de souvenir du poëte qu’il aurait été, j’inscris ici ces vers de Louis Le Cardonnel :

LE RÊVE DE LA REINE


La Reine aux cheveux d’ambre, à la bouche sanglante,
Tient de sa dextre longue ouvert le vitrail d’or.
Pensant que l’heure coule ainsi qu’une eau trop lente.
En ses yeux le reflet d’une tristesse dort,
Et sur sa robe, où sont des fleurs bizarres d’or,
Elle laisse dormir son autre main si froide
Que dans un sombre jour de chapelle qui dort
De moins rigides mains portent la palme roide !
Soudain, quelle moiteur à sa peau fine et froide !
À son front lisse perle une sourde langueur,
Et son corsage en dur brocart semble moins roide :
Est-ce toi, si longtemps immobile, son cœur,
Qui pourras la savoir chasser, cette langueur,
Et faire étinceler enfin la somnolence
De ses yeux, si longtemps glacés comme son cœur,
Qui la feras tomber, l’armure du silence ?
Ô crépuscule, dans ta grande somnolence
Un bois à l’horizon s’étage noir et bleu ;
Haut, le croissant émerge et s’argente en silence :
L’Hippogriffe attendait dans le couchant de feu
Et la reine, égarant son regard noir et bleu.