Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/352

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marié et, un peu angoissé d’avoir abdiqué son indépendance, de s’être créé des devoirs qui désormais le condamnent à vivre, quel que soit son sort, il se laisse pourtant gagner par les douceurs de la vie à deux et par le charme d’être aimé. À peine si, de temps en temps, des incidents ou des rencontres ramènent l’orage à sa surface. Mais la naissance d’un enfant vient le troubler dans cet apaisement : cet être absorbant qui remplit la maison, envers lequel il se sent plus obligé encore qu’envers sa femme, dérange le cours de vie qu’il avait adopté et gêne terriblement son égoïsme. Pourtant il s’y accoutume, peu à peu lui fait place dans ses affections ; c’est d’abord de la pitié, puis cela devient un attachement réel, avec les illusions de la paternité. Ausitôt née dans cet âme, la pitié l’envahit. Lui qui jamais n’y songea, cet égoïste pense au sort des autres hommes ; son horizon s’agrandit, dans l’amour de l’humanité s’ouvre une nouvelle source d’activité, s’impose une tâche nouvelle et grande. Mais il ne peut l’accomplir : quelque chose l’en empêche, ce quelque chose qui est lui-même, sa faiblesse, son scepticisme, sa méfiance. Le mal et le bien pactisent : l’amour de l’humanité devient, pour ce contemporain une pratique rationnelle, sans enthousiasme, sans cœur. Il s’aperçoit d’ailleurs que la charité n’est forte qu’à la condition de se fonder sur des croyances religieuses qui puissent résoudre