Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/66

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de si évidente bonne foi, il y a du moins du passé dans ce ton froid, dans cette écriture ennuyeuse. Tout autre est Joseph de Maistre, ce très grand poète : son style vibre et palpite, c’est une ardeur, — mais plutôt une ardeur qu’une splendeur, il brûle plus qu’il éclaire, et ses idées dépassent leurs origines chrétiennes et reflueraient jusqu’à la rigueur judaïque en se colorant de l’austérité tragique et sans onction d’un Tertullien, avec cette vision rouge d’un christianisme plutôt selon Saint-Paul que selon Saint-Jean, avec cette éloquence qui ne pardonne pas. Le monde tel qu’il le voit, fondé sur la hache du bourreau, n’est pas le monde de Jésus. Avec Chateaubriand, malgré un mysticisme réel, nous atteignons l’époque du dilettantisme chrétien. C’est religiosâtre, ce n’est pas religieux ; c’est de la littérature, il n’y a plus de foi. C’est du génie du christianisme qu’il parle ? Les mots l’affirment, non pas les sentiments : il parlerait tout de même du génie du paganisme. Ce qu’il cherche, c’est prétexte à morceaux, à couplets. Volontiers, il s’emporte — si magnifiquement ! — dans des digressions où la Révélation est décidément étrangère, où la Nature seule est adorée, — et René est un épisode du Génie du Christianisme ! Et voyez les procédés du Poëte : ils en disent long sur sa pensée. Il parle d’Eudore et de Cymodocée comme Fénelon de Télémaque et de Calypso, avec une sorte d’indif-