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LE VAMPIRE

tinguibles. Sous son front bombé couvait la fureur de la chair…

On devinait en elle des élans de bête inassouvie, des raffinements de bigote et des exigences honteuses d’hystérique. C’était, à l’état latent et contenu, une videuse d’hommes que cette ancienne pensionnaire de couvent.

Toujours devant le miroir, elle se grisait dans sa propre contemplation.

Six heures sonnèrent.

— Encore trois heures, murmura-t-elle.

Absorbée par ses pensées de volupté, elle restait debout, les bras tendus. Tout à coup, ses jambes faiblirent, ses seins se gonflèrent. Défaillante, elle se jeta sur le sopha et s’y renversa, fermant les paupières pour que rien ne vînt troubler sa vision…

Un frisson la secouait ; elle eut un rire nerveux qui se cassa dans la gorge et expira en une plainte. Pâmée sous une étreinte idéale, elle se tordait, délirante.

Après quelques minutes, elle retomba dans une immobilité absolue. La crise était apaisée.

Maintenant, la baronne était calme, ou, du moins, elle dominait l’orage qui, tout à l’heure, grondait dans son cerveau surexcité. La réaction s’opérait : elle avait froid.

Elle se redressa avec effort et sonna un domestique.

La femme de chambre entra. C’était la seule personne à laquelle madame de Cénac donnait des ordres.

— Je ne dînerai pas ce soir, dit-elle simplement.

— Madame est souffrante, je pense. Veut-elle…

— Rien. J’ai besoin de repos. Vous pouvez sortir si vous voulez. Demain, vous ne viendrez m’habiller que tard dans la matinée. Laissez-moi seule, Marie.

Celle-ci s’inclina et sortit, assez surprise de l’humeur de sa maîtresse. Brusquement la domestique se heurta contre quelqu’un qui semblait écouter à la porte.

C’était le baron de Cénac.

Il ne laissa pas le temps à la femme de chambre de se remettre de sa surprise.

— Que fait la baronne, seule, dans le salon, sans lumière, depuis si longtemps ? questionna-t-il.

— Mais, monsieur… je ne sais…

— Allons, répondez-moi !

— Madame est indisposée, je crois. Elle m’a avertie qu’elle ne dînerait pas ce soir et qu’elle resterait couchée assez tard demain matin.

— Eh bien ! si votre maîtresse est malade, pourquoi ne demeurez-vous pas auprès d’elle ?

— Madame la baronne veut être seule.

— Voilà qui est singulier, pensa le baron.

Puis élevant la voix, il dit à la domestique :

— C’est bien, ne la dérangez pas.

Et il entra dans le salon. Après avoir allumé une bougie, il s’aperçut que la pièce était vide.

— Ma femme a des allures bien extraordinaires, aujourd’hui, se dit le soupçonneux baron. Je saurai ce dont il retourne…

Préoccupé, soucieux, il sortit à son tour.

Madame de Cénac avait regagné ses appartements et s’était enfermée.

Au lieu de se mettre au lit, elle s’assit sur une causeuse dans la chambre à coucher, regardant fixement les aiguilles de la pendule qui marquaient six heures et demie.

Bientôt, fatiguée, elle s’endormit profondément.

Les heures se succédèrent avec une inexorable régularité…

Quand la baronne se réveilla, l’obscurité était complète ; la lumière venait de s’éteindre.

Une horloge sonna lentement.

Un… deux… trois…

La baronne écouta.

Quatre… cinq… six… sept…