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LES MYSTÈRES DU CRIME

Elle comptait les coups, pétrifiée et croyant à un cauchemar…

Huit… neuf… dix… onze…

La voix d’airain vibra douze fois dans l’air et se tut. D’autres reprirent dans le lointain.

— Minuit ! oh ! minuit !… s’écria madame de Cénac avec des larmes de colère… Il ne m’attend plus !…

Désolée et furieuse, elle frappa du pied. Il lui sembla qu’à ce bruit un autre bruit répondait au dessus d’elle. Elle crut entendre dans la pièce supérieure le pas de quelqu’un qui s’éloignait avec précaution ; mais rien ne venant à l’appui de cette supposition, elle ne s’en préoccupa pas davantage. Le silence le plus profond régnait dans l’hôtel. Tout le monde devait être couché.

Elle s’éclaira et allant dans un cabinet attenant, elle mouilla son visage. La sensation de l’eau glacée calma son agitation. Elle resta debout et se prit à réfléchir.

— N’importe ! j’irai, fit-elle à voix basse.

Son visage contracté, ses dents serrées, toute sa personne enfin, indiquait une détermination froide, irrévocable.

Elle mit un chapeau, en baissa la voilette, se couvrit d’un châle, et, jetant un coup d’œil d’interrogation à son miroir, elle sortit, refermant les portes avec soin.

La demie sonnait alors que l’élégante noctambule descendit sans bruit, s’arrêtant lorsque le plancher craquait, puis reprenant sa marche, l’haleine suspendue, se faisant légère et évitant le moindre heurt.

Elle se trouva dans le jardin qu’elle traversa rapidement, jusqu’à ce que, parvenue devant la porte de sortie, elle tira une clef de sa robe et ouvrit…

Dans la maison, un grincement de serrure venait de se faire entendre. La baronne distingua l’ombre d’un homme qui approchait. Elle eut peur, et, tirant brusquement la grille, elle s’enfuit, tourna à droite et passa en redoublant de vitesse devant la façade de son hôtel.

Bientôt, cependant, rassurée par le calme des rues de ce quartier opulent, elle pensa s’être trompée et cessa de courir. Elle continua sa route du pas pressé d’une honnête femme attardée.

Le temps était humide et la nuit noire. Une pluie fine commençait à tomber. La belle fugitive s’arrêta sous un réverbère.

— J’ai pris des indications sur la maison, fit-elle à demi-voix. La porte cochère s’ouvre d’elle-même en appuyant sur un bouton. C’est au premier étage. Voyons encore l’adresse…

Et madame de Cénac, ayant retiré une carte de son sein, lut à la clarté tremblotante du gaz :

L’Abbé Caudirol
rue des Gravilliers…

Alors, secouée par un désir furieux, palpitante, l’œil allumé, elle reprit sa course, traversant les rues, glissant sur les trottoirs gluants, s’éclaboussant dans les ruisseaux, impatiente et enfiévrée !

De temps en temps, elle murmurait :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que c’est loin !

Et elle redoublait de vitesse, sans prendre garde que, de loin, un homme la suivait obstinément, réglant sa marche sur la sienne. Elle volait à l’adultère sans voir l’éclair d’un poignard qui brillait dans l’ombre.


CHAPITRE IV

La Pitchounette.


Le prêtre occupait le premier étage d’une vieille maison de la rue des Gravilliers. Il n’avait point de concierge, ce qui lui laissait une plus grande liberté. Le matin, une femme de ménage nettoyait l’appartement. C’est ainsi que s’était logé l’abbé Caudirol, pour vivre chez lui à son gré, sans subir d’espionnage.

Ce soir-là, vers neuf heures, il attendait.