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LE VAMPIRE

— C’était une expiation. Je rendais l’honneur à une jeune fille séduite. Je ne sais si j’ai racheté ma faute.

— Vous ! s’écria Jean-Baptiste.

— Écoutez, mes bons amis, vous pouvez tout entendre. D’ailleurs, Madeleine sait ce que je vais dire. Deux ans après la mort de ma femme, je renouai des relations avec mon frère qui ignorait que je connusse son abominable attentat. Voici la raison de cette apparente amitié que je lui témoignai : Isidore, lui aussi, s’était marié, non par amour, mais par intérêt.

Le Docteur-Noir passa la main sur son front comme pour se souvenir.

— Savez-vous ce que j’avais résolu ? continua le Docteur-Noir… Une vengeance terrible ! Je m’étais promis de posséder sa jeune compagne et d’empoisonner à mon tour son existence. Je voulais lui appliquer, à ce représentant d’une justice inique, la loi du talion, la seule justice vraie… œil pour œil !

Jean-Baptiste et Madeleine écoutaient en retenant leur souffle le récit émouvant du médecin qui poursuivit :

— Voilà ce que j’avais décidé. Voici maintenant ce qui arriva : La femme de mon frère était une créature douce et charmante, pleine de cœur et de sentiments élevés. Elle semblait plus attrayante encore par la tristesse qui se lisait sur son gracieux visage…

— Oh ! oui, monsieur, elle était déjà bien malheureuse, elle me l’a souvent répété, affirma Madeleine.

— Eh bien ! le charme répandu dans toute sa personne fit tomber ma résolution brutale. Un seul sourire d’elle dissipa ma haine. Mais c’était pire peut-être : Je l’aimai ! Oui, une passion irrésistible me poussait vers elle. Je luttai contre mes désirs, mais, bientôt, je dus m’avouer vaincu. Ah ! quand l’amour vous tient, adieu préjugés humains et volonté… Il faut subir la loi de ses passions !

Il y eut un court instant de silence.

— Pendant plusieurs mois, reprit la Docteur-Noir, je n’osai avouer un sentiment aussi coupable… Hélas ! ma belle-sœur n’était guère plus sage que moi et je ne lui étais pas indifférent. Une après-midi, tandis qu’Isidore était au Palais, je vins la voir. Elle était alitée. Je pénétrai jusqu’au seuil de sa chambre à coucher. Je la trouvai dans les larmes, et n’écoutant que mon affection pour elle ; je me précipitai vers son lit, la questionnant… Elle m’avoua que son mari l’avait frappée… Nous étions dans les bras l’un de l’autre. Penché sur sa couche, je la serrais contre mon cœur. Une griserie m’envahissait. Je voyais battre sa poitrine nue… son beau corps se tordait sous une chemise de batiste, dans de douloureux sanglots… Elle ne me résistait point… Je l’enlaçai dans une suprême étreinte… et j’eus une minute d’un bonheur inouï qui rachèterait le malheur de toute une vie…

Lucien Bartier suffoquait en parlant ainsi.