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LE VAMPIRE

pauvre vieux… Y avait des moments où je leur disais : Faites pas attention, c’est pour chasser ma goutte, et je dansais, je gambadais comme un fou… J’aime voir les autres heureux… C’était mon idée en ce moment-là… Mais on commençait à se battre dans les rues. Le mari de ma petite Marguerite était de la garde nationale… il avait même un grade… Il était du côté de la Commune, contre les autres de Versailles. Qu’est-ce qu’ils avaient donc à venir prendre Paris et massacrer tout le monde, comme si c’était pas assez des Prussiens ?… Oh ! ceux de Versailles, je leur en veux, allez !

Et il leva en l’air son poing fermé.

— Pour lors, voilà mon gaillard de petit-fils qui se fait blesser. Pendant ce temps-là, les Versaillais rentrent dans Paris ; moi je fais écrire une lettre pour le petit vicaire en question et je l’envoie à Nantes… Je lui demandais de venir. Et à l’aide de sa soutane… vous comprenez, de nous sauver tous, de nous ramenez là-bas… Savez-vous ce qu’il fît, ce jésuite ? je l’ai su après… Il renvoya poste pour poste une dénonciation à ceux de Versailles… J’ai vu le papier, c’était pas signé. Mais c’était de lui. Pas d’erreur, je vous dis ! Il s’était vengé des dédains de Marguerite, le bandit !

Le vieillard continua, la voix entrecoupée de sanglots :

— Un matin, je rentre dans la chambre de mes petits enfants… Oh ! si vous aviez vu… Ils étaient enlacés tous les deux, Marguerite et lui, dormant comme deux anges sur l’oreiller blanc. Sa tête brune à lui à côté de la tête blonde de ma mignonne… On voyait à leurs lèvres entr’ouvertes qu’ils avaient dû s’endormir dans un baiser… Et à côté, dans un berceau grand comme ça… la petite Lydia reposait doucement. Oh ! je vous dis qu’un tigre aurait eu pitié… Eh bien ! ils n’ont pas eu pitié, ceux de Versailles !

Le père Marius parlait avec une sombre véhémence…

— Tout à coup… mon Dieu ! mon Dieu !… la porte d’entrée est enfoncée : un officier, qui avait un papier à la main, s’élance suivi de soldats… et malgré mes supplications… ils se jettent sur les malheureux, réveillés en sursaut. Lui, il résiste. Elle, se colle contre lui… Ils les ont massacrés tous les deux à coups de baïonnette, et moi, ils m’ont chassé à coups de crosse, ceux de Versailles !…

Et, comme si on eût contesté la vérité de sa terrible histoire, le vieillard reprit avec force :

— Je vous dis qu’ils ont tué mes enfants !

Tout le monde était ému. Bien des hommes se détournaient pour cacher leurs larmes.

Il ajouta encore, tout bas, comme se parlant à lui-même.

— Ils ont enlevé la petite Lydia… et je ne sais pas ce qu’ils en ont fait… Ils l’ont mise aux Enfants-Trouvés, c’est sûr… J’ai bien cherché pourtant… Je suis à bout de force… Je vais mourir… Oh ! pauvre Lydia…