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LE VAMPIRE

Le crucifix suspendu au-dessus d’elle attira son attention. Elle était restée dévote comme autrefois au couvent, et cet objet de piété la remplissait d’une crainte superstitieuse. Il lui sembla que la tête penchée du Christ la considérait.

Elle n’osait plus se rendre adultère, craignant vaguement de commettre un sacrilège qui amènerait une catastrophe, un coup de foudre.

— Si Dieu se vengeait, pensait-elle.

Et peureuse, émue, elle se blottissait sous la couverture.

Intérieurement, elle se grondait de sa faiblesse, cherchant à surmonter son trouble, se rassurant par des raisonnements, pleurant presque de dépit.

Elle regarda le prêtre.

L’abbé Caudirol restait immobile à la même place ; sa respiration était pénible, douloureuse…

— Tiens ! il dort, se dit la baronne.

Et profitant de ce sommeil, elles descendit de sa couche pour faire sa toilette de nuit…

L’idée de ce Christ, placé dans les rideaux du lit, ne lui sortait pas de la tête. Dieu la voyait sûrement, se disait-elle. Et elle en avait la chair de poule.

Cependant une pensée lui vint, qui calma sa conscience timorée.

Pourquoi ne pas détourner la face du Sauveur du spectacle de sa faute ?

Sans plus tarder, elle se pencha vers la ruelle du lit et retourna le crucifix, le mettant ainsi à l’envers, la face contre le mur…

— Il ne me verra plus, dit-elle avec un soupir de soulagement.

Rassurée, elle voulut se recoucher…

Subitement, elle fit un faux pas… Son pied glissait sur quelque chose de froid.

Elle se rejeta en arrière et, toute apeurée, prît la lampe et se baissa…

Ce qu’elle vit lui donna le vertige.

Une main de femme dépassait sous le lit…

La baronne poussa un cri de terreur, déchirant, horrible.

— Au secours !…

L’abbé Caudirol dormait d’un sommeil agité, rempli de spectres et de fantômes. Dans son cauchemar ; il repassait d’une façon fantastique les évènements de cette soirée.

Le souffle qui s’échappait de sa poitrine oppressée était lourd, plaintif. La souffrance était peinte sur son visage contracté…

D’abord, il se voyait en soutane dans la rue ; une enfant passait, il l’enlevait ; elle se débattait ; il l’étreignait avec furie et l’assassinait sous ses caresses bestiales, jouissant de voir la mort lui disputer sa victime… puis, il avait peur, le cadavre s’attachait au meurtrier, ne le quittait plus !… Au-dessus de lui grimaçait un spectre, agitant un glaive qui étincelait dans la nuit. De toute part des cris retentissaient, sourds, lugubres… Des démons se dressaient devant lui pour l’entraîner dans un gouffre d’où sortaient des vociférations…

Il se réveilla en sursaut, pâle, terrifiée…

Au même instant madame de Cénac, éperdue, en face de sa lugubre découverte criait :

— Au secours ! À moi !…

L’abbé Caudirol, en proie à son cauchemar qui semblait se continuer, mais gardant cependant le sentiment de la réalité, se précipita sur la baronne qui courait autour de la chambre, cherchant une issue pour s’enfuir. Il saisit un chenêt qu’il arracha de la cheminée, et, rapide comme l’éclair, il atteignit la pauvre femme affolée, qui tomba sur ses genoux demandant grâce d’une voix étranglée et suppliante.

Une terreur mêlée de rage animait le prêtre. Sans écouter les plaintes étouffées de sa victime, il lui asséna plusieurs coups fébriles, mal assurés. Il voyait rouge. La folie du meurtre s’était emparée de lui. Il saisit un couteau, et tirant le cadavre de