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LES MYSTÈRES DU CRIME

— Rien, mon amie…

— Et quel désordre, chez vous ! continua madame de Cénac de plus en plus intriguée, en regardant autour d’elle. On dirait vraiment que l’on s’est battu ici. Et encore une fois, qu’est-ce que cela signifie ? Vous ne me dites rien…

— Parce que je n’ai rien à vous dire sur ce sujet, fit le prêtre en surmontant son malaise et en esquissant un sourire… Tiens, ma belle, reprit-il, causons d’amour, je serai plus éloquent sur ce chapitre. Mon ménage est en désordre comme celui de tous les garçon… Jusqu’ici je n’avais pas eu une charmante femme pour s’en apercevoir… donc tout se trouve de côté et d’autre ! L’ordre, cette première loi du ciel, n’est guère connue sur cette partie de l’humanité qui est ma chambre à coucher… Quoi d’étonnant ? Ensuite, s’il faut tout vous dire, jolie curieuse, ma mie, j’ai si longtemps tardé de souper que je suis indisposé. Êtes-vous satisfaite, monsieur le juge d’instruction ?

— Oh ! cher ! c’est de ma faute ! Finis ton repas et donne-moi quelques miettes à grignoter. J’ai faim, tu sais !

Elle tendit ses lèvres et lui donna un long baiser.

L’abbé Caudirol reprenait peu à peu sa présence d’esprit ; galamment il servit madame de Cénac ; il s’efforçait de rire et de plaisanter, malgré la gravité de sa position…

Par moment il jetait un coup d’œil furtif sous le lit où se dessinait une forme vague.

Il baissa la lumière de la lampe qui éclairait trop vivement…

— L’amour aime le mystère, dit-il pour s’excuser.

Et tous deux se rapprochèrent, lui inquiet, elle fiévreuse…

Soudain, le repas fut interrompu par un grand bruit de voix qui arrivait du dehors. On secouait la porte violemment.

Le couple restait en place, glacé d’épouvante. Le prêtre, ainsi que la baronne, avaient chacun leurs raisons de trembler.

Quelques moments s’écoulèrent…

— Allez voir ce qui se passe, fit madame de Cénac à voix basse.

— Je suis perdu, murmura-t-il.

L’abbé se dirigea vers la fenêtre et regarda dans la rue.

Il distingua confusément, à une certaine distance de la maison, des agents de police. Mais au lieu de s’approcher de sa demeure, ils s’en éloignaient rapidement, emmenant avec eux un homme qui se débattait de toutes ses forces, protestant, criant.

Le prêtre sentit renaître son assurance, et ce fut d’un ton presque dégagé qu’il répondit aux questions de la baronne.

— Nous sommes bien bons de nous déranger pour un ivrogne que l’on arrête ; car ce n’était pas autre chose, mon amour.

— J’ai eu peur, fit-elle, mal remise du saisissement que lui avait occasionné ce vacarme. Je ne mange plus. Viens auprès de moi, veux-tu ?

Ils s’assirent sut le canapé…

La conversation reprit entre ces deux êtres si merveilleusement doués par la nature sous le rapport de la beauté, et si criminels, si dépravés au moral. Que se disaient-ils ? Des phrases d’amour ? Point, ils parlaient le langage de la passion brutale, sans poésie et sans pudeur ; ils exprimaient, non les douces pensées du cœur, mais la rage des sens en éveil. Ah ! certes, l’ange de l’amour n’inspirait pas ces monstres en rut, c’était le démon de la chair qui les aiguillonnait, les tourmentait et leur soufflait la volupté bestiale par tous les pores…

Madame de Cénac se leva.

— Il est une heure et demie du matin, dit-elle avec une petite moue.

L’abbé comprit cette invitation directe.

— Oui, déshabille-toi ; dans une minute je serai couché.

La baronne laissa glisser ses vêtements sous elle et bientôt elle fut au lit.