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LE VAMPIRE

montra dans le ciel et ses rayons vinrent éclairer un tableau effrayant.

Un homme, en habit ecclésiastique, se penchait sur deux cadavres, dont l’un, celui d’une enfant à peine nubile, était déjà froid, tandis que l’autre, celui d’une femme aux formes puissantes, semblait encore palpiter, à peine marqué de taches bleuâtres.

La face de la Pitchounctte indiquait la strangulation ; on eût dit qu’elle cherchait à aspirer une dernière bouffée d’air ; celle de madame de Cénac marquait l’effroi et la douleur…

L’abbé Caudirol, épouvanté du spectacle qui s’offrait à ses yeux, s’éloigna lentement. La lumière blanche de la lune continuait d’éclairer l’effroyable tableau.

Le prêtre alluma un flambeau et ferma les rideaux de la fenêtre restés entr’ouverts. Puis, il fit flamber toutes les bougies des candélabres. La chambre se trouva inondée d’une brillante clarté.

Un flacon de rhum était posé sur une étagère. L’abbé Caudirol le prit, et, tout d’une haleine, il le vida pour se donner du courage.

La chaleur de l’alcool ne tarda pas à lui enflammer le corps. Ivre-mort, il chancela sur les cadavres, et, ne se soutenant plus, il roula lourdement à terre…

Toujours il regardait, l’œif fixe, la gorge desséchée…

Quelque chose d’épouvantable lui traversa le cerveau… Tout vestige de sens moral avait disparu chez cet effrayant monomane… Profaner les corps de ses victimes lui sembla une jouissance suprême. Fou, immonde, exaspéré par son ignoble désir… il se releva, réfléchit quelques secondes en titubant de droite et de gauche… et enfin il se jeta sur les cadavres convoités, buvant le sang qui coulait des blessures, allant de l’un à l’autre…

Union monstrueuse !

Quelque temps s’écoula.

La raison revint au hideux vampire peu à peu et toute l’horreur de son forfait lui apparut. Terrifié par le danger qu’il courait si ses crimes venaient à être découverts, il se prit à songer fiévreusement aux moyens de se débarrasser de ses victimes…

L’appartement situé plus haut que le sien, au deuxième étage, n’était pas habité. il semblait peu probable, d’autre part, que quelqu’un eût entendu les cris de mort et le bruit de la lutte, dans le reste de la maison. D’ailleurs, personne n’avait bougé. L’appel désespéré de la baronne était resté sans écho.

L’abbé Caudirol envisagea sa situation avec l’espérance de se sauver entièrement. Il se souvint que, dans sa cave, se trouvait un grand trou à charbon dans lequel il pourrait enfouir les deux femmes violées et massacrées.

Sans tarder davantage, il descendit avec précaution et entra dans le caveau attribué à son logement. Il vit que la fosse, creusée en cet endroit, était plus grande qu’il ne fallait pour engloutir les preuves de son crime.

Vivement, il remonta afin de mettre aussitôt son projet à exécution. Arrivé chez lui, il souffla les bougies que, dans sa folie, il avait allumées.

Il enleva dans ses bras le cadavre roidi de la Pitchounctte ; mais ses yeux rencontrèrent, par hasard, le crucifix retourné, au-dessus du lit entre les rideaux…

À cette vue, il laissa retomber la morte et, en dépit de son scepticisme, dans une pareille circonstance, il crut à un prodige. Cloué sur place, les yeux hagards, il regardait le Christ, la face contre le mur !…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit-il, pris d’une sueur froide.

Jamais l’abbé Caudirol n’avait approfondi ce qu’il était chargé d’enseigner. Il doutait, voilà tout. Superstitieux comme tous les criminels, il croyait assister à un miracle.

Sa figure se convulsait, ses dents claquaient, ses mains se crispaient, il se sentit défaillir.