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LE VAMPIRE

Le baron regarda où il était et qui lui parlait.

La cellule où il se trouvait renfermé était éclairée par un bec de gaz placé très haut. Pas de fenêtre ; des murs absolument nus, souillés d’inscriptions et de dessins ; un banc scellé à la muraille, et enfin un baquet dont l’odeur putride indiquait assez la destination.

L’air ne se renouvelait que par un guichet grillé, ménagé dans la porte pour surveiller les détenus.

Il y avait deux prisonniers. D’abord un pauvre vagabond. Puis, étendu de son long, un individu de vingt-cinq à trente ans, le regard louche, l’air crapuleux, vêtu d’une blouse graisseuse. Il examinait le nouveau venu.

— On te demande pourquoi que t’es coffré ?… Dis-moi zut, si tu ne veux pas me répondre, continua le voyou. On ne te parlera plus.

M. de Cénac, détourna la tête avec dégoût.

— Est-ce que t’es sourd, ma vieille, ou si c’est que tu me prends pour un de la rousse[1] ? As pas peur, j’suîs pas un raille[2]. Vas-y de confiance, Ernest ; dis-nous ton boniment. Moi, j’suis le môme Émile, pigé tout à l’heure rapport à ma Louis XV[3]. Figure-toi qu’un rouscaillon[4] en bourgeois, qui la guettait faire le truc, a voulu l’emballer. J’y ai tombé sur le poil. Mon ouvrière[5] s’est tirée. Des cognes[6] ont rappliqué au secours du mouchard, et c’est moi, pauvre bibi, qui m’suis fait boucler. Qué malheur… Dévouez-vous donc !…

Écœuré, le baron n’écoutait plus. Il songeait, dévoré d’impatience et de rage, à sa femme, en ce moment rue des Gravilliers, chez un amant. Il se prenait à regretter de l’avoir laissée entrer dans la maison au lieu de la poignarder tout de suite.

— Misérable catin ! répétait-il.

Cependant, le brigadier du poste s’était ravisé. Il ordonna qu’on fît sortit le prisonnier pour l’interroger.

Un agent ouvrit la porte du cachot et fit signe au baron de se placer devant le bureau du brigadier.

— Allons ! là, debout. J’espère que tu es calmé, mauvaise teigne. On va te fouiller. Ne bougeons plus surtout.

Et l’agent se mit en devoir de procéder à cette visite réglementaire par laquelle on aurait dû commencer.

— Un poignard !… Un pistolet à deux coups, rien que ça de luxe ! Eh bien ! mon petit, ton affaire est bonne.

M. de Cénac se laissait faire sans protestation. Il était très pâle et roulait en lui-même des plans de vengeance contre tous ces policiers qui l’avaient brutalisé.

— Je vous ferai tous révoquer, dit-il d’une voix que la colère rendait tremblante.

Tout le poste partit d’un immense éclat de rire.

— Diantre ! c’est grave, répondit le brigadier devenu goguenard.

Le baron éclata.

— Messieurs, s’écria-t-il, savez-vous quel est l’homme que vous avez arrêté sans motif, que vous avez pris au collet comme un malfaiteur, que vous avez brutalisé et frappé sans raison ?… Le savez vous ?…

— Nous nous en doutons bien, repartit le brigadier que cette scène amusait beaucoup. En vérité, mon ami, à votre costume déchiré, en loques, dégoûtant, au chapeau… qui vous manque, à votre cravate disparue, à tout cela, ainsi qu’à votre bonne mine, on reconnaît un paisible, mais illustre citoyen. Tout me porte à croire que vous êtes un très grand personnage. Qu’en dites vous, messieurs ?

Les agents, ainsi consultés par leur

  1. Police.
  2. Mouchard.
  3. Fille publique.
  4. Agent.
  5. Les souteneurs appellent ainsi leurs femmes.
  6. Gardiens de la paix.