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LES MYSTÈRES DU CRIME

Sans perdre une seconde, il se hissa sur la grille, déchirant ses habits, se retournant les ongles et, au risque de se blesser grièvement il sauta en bas. Il alla rouler sur la chaussée, et se releva couvert de boue.

Aussitôt, il courut sur les traces de la baronne qu’il ne tarda pas à rejoindre à l’angle d’une rue.

Il lui laissa reprendre quelque avance et régla son pas sur le sien…

Ils arrivèrent ainsi rue des Gravilliers.

La baronne entra dans la maison du prêtre en faisant jouer le secret de la porte cochère.

Monsieur de Cénac essaya à son tour de l’ouvrir, cherchant le moyen de faire jouer la serrure. Peine inutile…

Il gagna le trottoir opposé et, levant les yeux, il regarda. Au premier étage la lumière brillait… Il distingua vaguement l’ombre de deux personnes enlacées…

Fou de colère, écumant, la face grimaçante, il courut encore une fois à la porte et essaya vainement de l’ouvrir…

Alors, n’y tenant plus, il voulut la briser et se rua contre elle, donnant des coups de pieds, s’arc-boutant, se meurtrissant les poings à force de frapper.

L’idée qu’en ce moment sa femme était dans les bras d’un rival sans qu’il pût l’en arracher, la déchirer en morceaux, la fouler aux pieds, cette idée l’exaspérait jusqu’à la démence.

— Oh ! la scélérate ! la coquine ! hurlait-il en redoublant de violence… Je la tuerai !

Brusquement, le baron se sentit saisi et immobilisé par des mains vigoureuses. Il se retourna et se vit aux prises avec deux sergents de ville ; d’autres, qui faisaient leur ronde, ne tardèrent pas à arriver pour prêter main-forte à leurs collègues. M. de Cénac, outré de cette intervention, se débattait furieusement, menaçant les agents…

Mais ceux-ci l’avaient entouré et le poussaient dans la direction du poste de police, situé non loin de là.

— Bon, très bien ! lui disaient-ils, crie, mon bonhomme ; c’est égal, te voilà pincé… Ah ! tu enfonces les portes à grand orchestre. Pas malin tout de même pour un caroubleur[1].

— Est-ce que vous me prenez pour un voleur ? s’écria le baron en faisant un effort désespéré pour se délivrer des agents.

— Mais un peu, mon gaillard… ou quelque chose dans ce genre-là… Ah ! ne regimbe pas, tu sais, tu sais cela, en arrivant, on te passera à tabac. Bronche seulement et tu verras cette volée tout à l’heure !

— Voulez-vous me lâcher, ignobles brutes que vous êtes. Je m’appelle… je suis… Ah ! bandits, gredins, misérables !

Il n’en fallait pas davantage pour exciter les agents contre l’infortuné baron. Il fut empoigné rudement, saisi au collet, traîné par terre, relevé, meurtri à coups de bottes, jusqu’au poste de police où on le lança brutalement.

— Qu’est-ce que c’est ? fit le brigadier de service.

— Un drôle que nous avons surpris en train de faire sauter une porte. Il a fait une résistance de tous les diables, l’animal !

— Laissez-moi sortir, tas d’insolents, cria M. de Cénac.

— Fichez-le au clou et proprement, riposta le brigadier indigné de tant d’audace.

Les agents n’avaient pas besoin de cet encouragement. Ils saisie nt de nouveau leur prisonnier et, avec force bourrades, le firent entrer au violon.

— Maintenant, gueule, charogne, si ça t’amuse !

Et la porte se referma sur le malheureux, suffoquant, exaspéré…

— Pourquoi que t’es poissé[2] ? fit une voix grasse et traînante,

  1. Voleur avec effraction
  2. Arrêté