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LE DOCTEUR-NOIR

CHAPITRE X

Expiation.

On se pressait à la Morgue, faisant queue pour examiner les cadavres étalés sur les dalles de pierre noire.

Il y en avait plusieurs ce jour-là, et la foule des badauds ne s’attardait pas à regarder les tableaux remplis de photographies horribles accrochées à l’entrée.

On se pressait, on se bousculait pour parvenir au premier rang et s’accouder sur la balustrade.

Des commères, friandes de ce spectacle, discutaient longuement sur les causes probables qui avaient amené ces corps nus sur l’étal humain de la Morgue.

Entre le cadavre bleuâtre d’une vieille femme, toute contusionnée, et celui d’un homme aux traits amaigris qui portait empreint sur son corps décharné le stigmate de la misère, on apercevait, cachée dans une toile grossière, une jeune fille noyée.

— Voilà où mène la mauvaise conduite, disait une bonne femme à sa voisine.

— Oh ! ne me parlez point de cela, madame, répondait l’autre, j’ai lu l’affaire sur mon journal.

— Oui, cette petite a été… n’est-ce pas ?

— En effet, madame, mais sait-on au juste si…

— Si elle a été violée réellement ?

— Allons, pas si naïve, madame, il y avait longtemps bien sûr…

— Mais, certainement, madame.

— Tenez, allons-nous-en, cela me tourne les sangs…

— À moi aussi, madame, je ne puis supporter ce spectacle.

Et les deux cancanières finirent par s’en aller en se prodiguant des politesses…

En ce moment, un homme correctement vêtu, décoré de la Légion d’honneur, pénétra dans le triste monument.

Il s’approcha d’un air indifférent et se haussa sur la pointe des pieds pour voir par-dessus la haie de curieux.

Un rapide coup d’œil lui suffit.