Page:Morphy - Le vampire, 1886.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
LE DOCTEUR-NOIR

ami ne parle pas beaucoup. Mais ce qu’il mange… ce qu’il boit… non, c’est un rêve !

Jean-Baptiste Flack sourit.

— Mon Dieu, approuva-t-il, je n’affirmerai pas que je ne vous ai point fait raison.

— Parbleu ! il boit trois fois autant que nous deux, protesta l’abbé Ventron.

Il s’adressa au sommelier d’un ton de voix empâté, risible.

— À boire, mon petit. J’ai déjà communié à sec, je ne veux pas déjeuner à sec. C’est pas dans ma nature.

Le domestique du Docteur-Noir attendait que ses compagnons fussent entièrement gris pour les faire parler.

Il ne doutait pas qu’au milieu de leur ivresse, ils ne s’abandonnassent à des confidences utiles à entendre.

On était arrivé à la fin du repas.

Le café fut servi dans le cabinet même, l’abbé Ventron ayant refusé de passer au salon en prétextant que ses jambes le faisaient horriblement souffrir.

Les liqueurs apportées, les garçons se retirèrent.

— Je voudrais bien porter un toast, proposa le prêtre.

— À la religion ! fit Jean-Baptiste Flack d’un air convaincu.

L’abbé prit une pose d’orateur, et désignant le faux brigadier de police à M. Cuplat :

— Est-il assez bête, avec sa religion ? En voilà une blague ! Entre nous, faut pas faire de ces propositions-là. Buvons plutôt au pucelage de la sainte Vierge et de son bébé, pendant que tu y es, farceur. Ça sera plus drôle.

— Tiens c’est une bonne idée, approuva M. Cuplat. Oh ! non, buvons à l’honnêteté des fonctionnaires publics.

— Encore plus cocasse ! dit en trépignant l’abbé Ventron.

— Mais ce n’est pas un toast religieux, reprit Flack. Et c’est ce que j’aurais voulu.

— Alors, mes enfants, dit l’aumônier en tendant son verre, buvons au nombril du pape !

— A… a… prouvé ! appuya M. Cuplat qui bégayait à chaque syllabe.

On but avec force éclats de rire.

Tout à coup l’abbé imposa silence :

— N’est-ce pas gentil de pouvoir s’amuser comme ça entre nous, sans être espionné par les libres-penseurs ? En voilà des cochons, nom de Dieu !

— Il a dit : Nom de Dieu ! fit M. Cuplat.

— Moi ?… c’est possible… N’empêche pas que les affaires sont les affaires, et qu’au dehors je suis réservé comme l’un de vos anciens mulets, mon bon Cuplat.