À son tour elle reconnut le domestique.
— Tiens ! mais c’est l’ancien garçon du claque de Saint-Ouen. Comment te trouves-tu ici, Alexandre ? tu as bonne mine, ma foi !
— Chut ! fit mystérieusement le domestique. Il ne faut pas parler comme ça ici. C’est une maison bien tenue… Venez.
La Sauvage suivit Alexandre et traversa un corridor, puis une galerie de tableaux irréprochables, et entra enfin dans un somptueux salon tendu en rouge où elle resta seule.
Après quelques minutes d’attente, elle entendit le frou-frou d’une robe de soie et une porte s’ouvrit, donnant passage à une dame d’environ trente-huit à quarante ans, vêtue avec une recherche du meilleur goût.
— Ma petite Sauvage ! c’est toi ! vilaine ! dit-elle d’un ton de reproche en courant se jeter dans les bras de la jeune femme.
Les deux femmes, après s’être embrassées, commencèrent à s’expliquer. La Sauvage raconta son voyage et son retour et écouta à son tour son amie.
— Tu sais, fit celle-ci, que je ne suis plus la mère Poivre-et-Sel. Je suis madame Paulia. C’était mon petit nom, j’en ai fait mon nom de guerre. Tu vois comme c’est joli ici. C’est la plus belle boîte de Paris.
— Tu as donc hérité ?
— Non, j’avais quelques économies. Ça n’allait pas trop mal là-bas, dans les sales quartiers. Oh ! mais j’en avais assez de cette vie des boulevards extérieurs. Maintenant je me repose.
— Alors, c’est avec tes bénéfices que tu as fait cette acquisition ?
— Ah ! il faut que je te le dise : j’ai eu du bonheur. J’ai mis la main sur une femme qui n’a pas sa pareille pour ensorceler les hommes. Ceux qui en ont goûté en redemandent. C’est à n’y pas croire.
— Elle doit te coûter les yeux de la tête ?
— Erreur. Je ne lui donne pas un sou ; je n’ai que son entretien à payer et cela ne compte pas.
— Ma foi, tu m’étonnes. Comment et où as-tu déniché ce bel oiseau ?
— De la façon la plus simple. J’étais sur le pas de la porte de mon ancienne maison, pour attirer les clients. Décolletée, tu sais que je faisais de l’effet. La preuve, c’est qu’il y avait des hommes qui me voulaient à tout prix. J’avais beau leur expliquer que j’étais la patronne, ça n’empêche pas que j’ai dû faire des affaires pour mon propre compte,
— Ça t’ennuyait assez !
— Non, pas trop, j’ai vraiment le goût du métier. C’est le plus beau de tous ; si on n’était pas en république, ça vaudrait le paradis autant dire !
— Alors, tu me faisais des traits par amour de l’art ?