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LE DOCTEUR-NOIR

Le président se préparait à faire subir à l’accusé, un interrogatoire, en règle, mais, dès le début, le Docteur-Noir se leva et dit, d’une voix assurée :

— Messieurs, la prévention est fausse. Je ne me suis point introduit de nuit dans un cimetière pour commettre un vol. Je n’ai point assassiné le gardien Bonnasse. Il m’est impossible de dire le motif qui m’a poussé à pénétrer au Père-Lachaise… Cela restera un secret. Voilà tout ce que j’ai à dire ; je ne répondrai à aucune question.

Cette déclaration produisit une impression des plus mauvaises sur l’esprit des jurés.

Le président des Assises insista, mais, le Docteur-Noir resta muet.

Il entendit sans émotion le fougueux réquisitoire de l’avocat général.

Un sourire plissa ses lèvres quand son défenseur prit la parole et enfila la série de lieux communs unités en pareil cas : les antécédents de l’accusé, son caractère désintéressé, son talent…

Me Lavigne insista sur le côté mystérieux de l’affaire et sur l’invraisemblance que comportait le fond même de la prévention.

— Comment admettre, s’écria-t-il, que cet homme dont la réputation de philanthrope était faite, que cet homme riche et érudit se soit laissé aller à commettre l’épouvantable série de crimes qu’on lui reproche. L’un d’eux n’est pas niable. Évidemment mon client a cherché à s’évader, et a tué l’agent de police Haroux que la préfecture lui avait donné comme compagnon de cellule. Mais cela ne prouve rien en ce qui concerne la tragédie du Père-Lachaise. Mon opinion qui, j’en suis sûr, est déjà la vôtre, c’est que Lucien Bartier est innocent ou qu’il est fou. Dans les deux cas, vous, devez l’acquitter.

Après une réplique de l’avocat général, l’audience fut suspendue.

L’audition des témoins avait été de si peu d’importance.

Quand les juges rentrèrent en séance, Me Lavigne se leva et demanda à présenter une observation.

— Je prie monsieur le président de vouloir bien demander à ce juré l’objet de sa conversation avec une personne qui se trouvait dans la salle.

Le juré désigné se troubla.

— J’ai causé de toute sorte de choses.

L’avocat insista.

— N’avez-vous pas parlé de l’affaire ? On vous a entendu déclarer qu’à votre avis mon client était atteint de folie et que la trahison de sa femme devait en être la cause.

— En effet, avoua le juré, je crois avoir dit ça.

Me Lavigne triomphait…