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LE VAMPIRE

traces morales chez la baronne de Cénac. Son tempérament de feu tourna davantage à l’hystérie. Elle eut de grandes révoltes sourdes contre son sort tranquille. Bientôt elle évita le monde, vivant isolée dans son magnifique hôtel où elle passait les jours et les nuits à lire des romans et à prier.

Dans cet état d’esprit faussé et détraqué, elle devait subir puissamment l’ascendant de l’abbé Caudirol.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après avoir acheté le récit de sa vie maladive et tourmentée, la baronne se reprit à pleurer.

L’abbé Caudirol, malgré les réticences de madame de Cénac, savait désormais à quel genre de femme il avait affaire.

Il reconstitua la vie de sa pénitente telle que nous venons de la retracer.

Cette névrosée lui plut et le passionna.

Il n’avait plus rien à apprendre, il se leva et ouvrit la porte grillée du confessionnal, et, après avoir jeté un rapide coup d’œil dans l’église, il se pencha vers madame de Cénac et l’embrassa avec fièvre. Folle d’amour, celle-ci saisit à son tour la tête du prêtre et posa un baiser sur ses lèvres.

Un bruit de pas les fit se reculer vivement. L’abbé s’éloigna en disant à voix couverte :

— Venez après moi à la sacristie.

La baronne fit le tour de l’église pour se remettre de son trouble, puis elle s’arrêta devant une porte où se lisait en lettres blanches le mot : Sacristie.

Elle tourna le bouton et entra dans une sorte de bureau où se tenait un bedeau.

— Je désirerais parler à monsieur le curé, fit la baronne.

— Madame veut-elle me suivre, répondit-il en ouvrant une porte qui donnait accès dans une autre pièce.

Lorsque la baronne fut entrée, on entendit un tour de clé donné intérieurement.

Le sacristain sourit discrètement et après s’être promené de long en large dans son bureau, il sortit, en disant à demi-voix :

— Mais il va bien, le grand homme. Il va très bien, si je ne me trompe.

Au bout d’une demi-heure environ, la porte de la sacristie se rouvrit et, tandis que la baronne jetait un coup d’œil sur une carte qu’elle avait à la main, le curé lui répéta à deux reprises :

— Demain soir, à neuf heures, n’est-ce pas ?


CHAPITRE III

Le rendez-vous


Le lendemain de son entrevue avec le beau prédicateur de Saint-Roch, la baronne de Cénac était en proie à une émotion extrême.

Elle allait et venait dans son salon, prenant et rejetant quelques papiers épars sur un plateau. Ses regards inquiets se dirigeaient constamment vers la pendule dont les aiguilles d’or tournaient lentement, trop lentement à son gré. Ses doigts impatientés cherchaient quelque chose à froisser. Enfin, fébrile, avec des mouvements saccadés, elle déchira les enveloppes de quelques lettres qu’on venait de lui apporter et voulut lire. Mais certainement sa pensée errait ailleurs, car ses yeux ne purent déchiffrer l’écriture…

On était à la fin de l’automne. Le temps était couvert, et, lentement, comme une marée montante, l’ombre envahissait la somptueuse demeure. D’instant en instant, le salon s’estampait d’une teinte sombre. Le luxe devenait moins criard. La vaste pièce prenait, dans ce demi-jour, de la grandeur et du caractère : elle n’éblouissait plus, elle imposait. Les moulures du plafond flottaient, les dorures, trop vives à la clarté, gagnaient en richesse. Les meubles, eux, perdaient de leur raideur peu harmonieuse et s’alanguissaient. Les portraits de famille devenaient sévères et s’endormaient dans leurs cadres sculptés…