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LES MYSTÈRES DU CRIME

fortune. Leur mariage, arrangé entre les familles respectives, avait eu surtout pour but l’intérêt. On avait associé un grand nom et une belle dot. — De sentiments, point.

M. de Cénac était un homme de quarante ans environ. Sans aimer sa femme positivement, il ne laissait pas d’en être jaloux, et il la surveillait sans cesse. Les précautions qu’il prit pour sauvegarder son honneur, son espionnage continuel, ses reproches immérités, tout cela faillit amener le dénouement qu’il craignait.

La baronne remarqua le secrétaire de son mari, un jeune homme qui avait pour madame de Cénac un amour respectueux et timide. Dans ses rêves les plus audacieux, il n’espérait point obtenir d’autres faveurs qu’un sourire. Cet amant platonique qui, par sa position dans la maison, aurait pu entretenir avec madame de Cénac les plus faciles relations, resta toujours l’ami et le confident du baron. M. de Cénac avait une confiance absolue dans son secrétaire, et jamais il ne soupçonna l’amour du jeune Méroir pour sa femme.

Madame de Cénac, qui aimait Henri avec passion, ne se donna cependant pas à lui ; mais, peu à peu, elle perdit les idées de vertu qui la retenaient encore dans son devoir d’épouse. Si le jeune homme avait osé lui avouer son amour, c’en était fait.

La baronne, qui savait le secret que Méroir croyait enfermé dans son cœur, était prête à lui céder. Souvent même, le voyant si timide, elle essaya de l’amener à un aveu. Dans leurs causeries sentimentales, elle amenait à dessein la conversation sur des objets passionnés.

Peine inutile, le jeune secrétaire, retenu par son amitié pour le baron, par sa délicatesse native, et surtout par son insurmontable timidité, ne sut pas ou ne voulut pas profiter de ces avances.

La baronne de Cénac finit par croire que le jeune homme la dédaignait. Et, n’ayant pas compris cette nature craintive et idéale, elle se renferma dans une froideur qui plongea dans le plus profond désespoir son triste adorateur.

Cet amour sans issue devait aboutir à une catastrophe.

À dater de ce moment, la santé d’Henri Méroir devint chancelante. On le crut atteint de la poitrine ; peu à peu, il dépérissait, sans que l’on pût connaître la véritable cause de son mal. Enfin, son état devint si alarmant qu’on l’obligea à garder le lit. Les médecins, consultés trop tard, ne purent se mettre d’accord sur son cas incompréhensible, mais tous le déclarèrent perdu.

Alors seulement, madame de Cénac s’émut. Elle alla voir le malade et resta longtemps à son chevet. Pressé de questions, le malheureux avoua qu’il s’était empoisonné lentement, à petites doses, afin que sa mort ne provoquât point de scandale.

— Mais, pourquoi cela ? mon Dieu ! s’était écriée la baronne éperdue.

— Je puis vous le dire, maintenant que tout est fini pour moi… répondit Méroir, je vous aimais sans espérance… J’ai préféré mourir.

Malgré les soins de madame de Cénac qui essaya de lui rendre la vie en lui jurant que son amour était partagé, il mourut avec un doux sourire sur les lèvres.

Le suicide d’Henri Méroir faillit rendre folle de douleur madame de Cénac, qui, seule, posséda le secret de sa fin tragique. À son tour elle tomba malade. Une fièvre typhoïde se déclara et durant plusieurs semaines on désespéra de la sauver.

Cependant elle guérit, et le cadavre du suicidé qu’elle croyait traîner après elle jusqu’à sa mort, disparut de son imagination ardente. Henri Méroir devint un souvenir triste et poétique qu’elle évoqua souvent dans ses longues heures de rêverie. Il ne lui resta qu’un grand regret de ne s’être pas donnée tout entière au jeune homme…

La fièvre typhoïde devait laisser des