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LE VAMPIRE

brosse, l’œil dissimulé sous d’épais sourcils, voilà l’homme. Il passe pour être d’une vertu antique. En tous cas, il est d’une sévérité sans égale.

— Eh bien ! sa renommée n’est guère méritée. Écoute plutôt la suite de cette histoire. La petite madame Bartier avait rendu visite plusieurs fois à son beau-frère, accompagnée de son mari. Isidore, à son tour, vint les voir assez souvent. Il renoua avec son frère des relations plus intimes, car ils étaient accoutumés à vivre séparés.

— En effet, ils ne sont pas faits pour s’entendre ensemble.

— Or, une après-midi, pendant que Lucien Barlier était absent par hasard, Isidore vint voir sa femme qui le reçut avec son empressement ordinaire. Il osa lui déclarer qu’il l’aimait, et, comme elle voulait le chasser, il se jeta sur elle.

— Par exemple ! s’écria M. Véninger.

— C’est la vérité. La pauvre petite s’évanouit ; en un pareil moment, c’était sa perte, Isidore profita de l’impossibilité où elle se trouvait de faire la moindre résistance, et il contenta son abominable désir ; lorsqu’elle reprit ses sens, elle était dans les bras de son beau-frère.

— Et qu’advint-il ?

— Isidore Bartier s’en alla en lui disant que son mari ne croirait jamais à un viol, si elle lui racontait ce qui s’était passé. Il penserait qu’elle avait cédé de plein gré. D’ailleurs, c’eût été le rendre inutilement malheureux. Cette raison l’emporta sur toute autre jusqu’au jour où, mourante, elle confia à Lucien son horrible secret.

— Il ne s’est pas vengé ? demanda le commissaire.

— Non, il ne put retrouver son frère qui avait disparu momentanément, et, la première fureur passée, il recula devant un fratricide. Sa jeune femme rendit le dernier soupir six mois après la scène du viol. Toute preuve du crime disparaissait avec elle. Lucien ne pouvait plus exercer de vengeance.

— Mais je ne m’explique pas qu’il se soit remarié, observa M. Véninger.

Caroline réfléchit un instant.

— Je vais tout te dire, répondit-elle. M. Lucien Barlier était le médecin de ma famille.

— Ah ! ah ! fit le commissaire.

— Laisse-moi achever… Il y a quatre ans maintenant, je le consultai secrètement, tu sauras pourquoi. Il m’examina et me dit froidement ; Mademoiselle, vous êtes enceinte.

— Comment !

— Je me jetai à ses pieds en le priant de me sauver, d’empêcher que je ne sois déshonorée. Je lui dis que j’avais eu le malheur d’écouter les serments d’un cousin qui avait abusé de mon innocence… Je n’avais pas seize ans !