Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/50

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Thrace leurs flèches sinueuses ». Voilà encore, permettez-moi de vous le dire, des noms qu’on ne s’attendait point à voir réunis. Je ne parle pas de Rutebœuf, que je n’ai guère pratiqué. Quant à Comynes et à Rabelais, je crois les connaître un peu l’un et l’autre. Ce sont des écrivains de tout point dissemblables, et s’ils ressemblent tous deux, comme vous dites, aux toxotes de Thrace, il faut nécessairement que cette ressemblance s’étende à beaucoup d’écrivains. On connaît Rabelais ; il a un grand nombre d’admirateurs et même quelques lecteurs. Je suis persuadé, monsieur, que vous êtes de ces derniers. Vous savez combien la langue de Rabelais est riche, savante ; vous savez qu’elle est lourde à force de richesse ; que c’est un entassement prodigieux de belles formes de langage, un magasin confus de mots et d’idées. Telle n’est point la langue de Comynes. Ce Philippe de Comynes était un homme d’État. Il écrivait simplement, sans recherche de l’effet, sans autre souci que d’être clair. Il se proposait, non d’amuser comme Froissart par des contes joliment colorés, mais d’instruire les politiques en leur montrant l’enchaînement des faits. Le premier en France, il eut les vues d’un historien. Ce n’est pas là, sans doute, un mérite inférieur. Il faut le louer aussi d’avoir donné le premier l’exemple d’un style simple et utile, le style des affaires. Je vois bien que ce style a été employé de nos jours avec avantage. Mais il me semble que c’est par M. Thiers ou par M. Dufaure, plutôt que par aucun des écrivains symbolistes. J’éprouve là encore un embarras dont tous les toxotes de Thrace ne parviendront pas à me tirer. Permettez-moi de vous dire, cher