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La rivière aussi avait pris un aspect printanier.

Les eaux coulaient à pleins bords, accrues par la fonte des neiges ; par endroits elles inondaient la prairie et sous les branches des saules garnies de la laine floconneuse des chatons, des courants glissaient, avec un petit bruit, un frissonnement de chose vivante.

Comme si la vie s’y était éveillée, les eaux perdaient cette transparence glacée qui leur est propre en hiver. Aux endroits profonds, elles prenaient une teinte plus lourde et plus chaude. La rivière s’étalait parfois sur de longues grèves plates où le soleil ruisselait, se prenait dans un frémissement innombrable de petites vagues ; des bandes de chiffes et de chevaines sortis des grands fonds venaient frayer là, dans ces eaux tièdes. On voyait leur dos noir sortant parfois des eaux courantes, parmi les galets. Par moments toute la file serrée ondulait, parcourue du même mouvement qui montrait les ventres blancs et le bout des nageoires, et les eaux fécondées ruisselaient derrière eux, comme une traînée de lait.

Le chant du coucou montait sur la côte, deux notes vibrantes, solitaires, qui sonnaient dans la profondeur des taillis.

La première fois qu’il les entendait, le vieux Dominique ne manquait pas de dire à son fils :

— Pierre, as-tu de l’argent dans ta poche ? Le coucou chante ! Quand on porte des sous sur soi, le jour où on l’entend, on est riche toute l’année !

Il y avait ainsi dans leur conversation des bouts de phrase, des plaisanteries qui revenaient, toujours pareilles, qui chaque fois les faisaient rire, car ils ne se creusaient pas la tête pour trouver des choses nou-