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Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/112

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on entendait monter la rumeur des barrages, au fond du val.

— Oui, mes enfants, j’étais en ce temps-là à Constantinople, dans un patelin qu’on appelait Ortakheuil ou Khad’keuil, je ne sais plus au juste, vu que c’est bien loin et qu’y a rudement coulé d’eau dans la rivière, depuis ce temps-là !

Un sacré pays tout de même, avec des bandes de chiens galeux qui se promenaient dans les rues, sans avoir de maître ! Et la campagne donc, c’était tout raviné, sans un arbre, avec des fondrières à se rompre le cou, comme la côte du Ragot.

Le plus rigolo, c’était les chariots des gens de ce pays-là. Pas un clou, pas un brin de fer ! les roues, les jantes, le timon, tout était en bois, attaché avec des chevilles. Par le temps de sécheresse, dame, tu penses si ça grince et si ça gueule. »

Ce détail surprit toute l’assistance, lui donnant mieux que toutes les phrases la sensation de pays lointains.

— Moi, j’avais pas à me plaindre, vu que j’avais un bon truc. On m’avait laissé, tout seul, dans un faubourg ; je couvrais avec des feuilles de zinc des abris en planches, qu’on préparait pour l’expédition de Crimée. Alors comme j’étais mon maître, je travaillais aux pièces et je me faisais de bonnes journées.

On en profitait pour faire la noce, les dimanches ; on se retrouvait à trois ou quatre du pays : Lexandre de Villey-le-Sec, qu’était dans les voltigeurs, et Petit-Jean de Gondreville, qui faisait son temps dans les tringlots. Dame, tu comprends, quand on se sent si loin de son pays, au milieu des sauvages, ça fait rudement plaisir de se retrouver. »