Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/113

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Pierre fit remarquer que la chose était toute naturelle.

— Quand on était parti en bombe, fallait voir les farces qu’on jouait aux Turcs. Des beaux hommes, pour sûr, bien membrés, bien corporés, des gaillards aussi solides que Pierre. Mais leurs soldats étaient mal frusqués, preuve que je vendais à leurs officiers mes pantalons collection trois, des « frapouilles » dont je ne voulais plus. Et eux, en faisaient leurs choux gras ! Y s’mettaient sur leur trente-et-un, avec ça, pour aller voir leur « bonne amie ».

Du reste, ils étaient polis, accueillants, vu qu’on s’était mis d’avec eux, pour se battre contre les Russes. Quand y nous rencontraient, y s’campaient devant nous au milieu du chemin, en criant :

— « Dis-doun, dis-doun ! sacré nom de Dieu, » pour nous faire voir qu’y savaient parler le français.

Tout le monde s’esclaffa. Sacré Poloche, il avait une façon d’envoyer ça, gesticulant sur la route, jargonnant un vague patois, avec des mines effarées. On aurait dit un vrai Turc.

— Alors un dimanche, on entre chez un marchand de tabac, une bande d’au moins une douzaine. Moi j’achète un cigare, et je reste là, mon porte-monnaie ouvert dans la main, comme pour payer. Tous les autres s’amènent, à la file, et prennent du tabac, des cigares, des cigarettes. Mon Turc rigolait, en débitant sa marchandise, vu qu’y s’promettait un gros bénéfice. Quand tous les autres sont sortis, v’là que j’lui allonge un sou, sur le comptoir. Non ! si t’avais vu la gueule qu’y faisait ! Il s’met à brailler : « Effendi, paga, paga. — J’t’en fous, que je lui réponds, je n’ les connais pas. » V’là t’y