Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/167

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viendra où toutes tes fredaines te dégoûteront : alors il ne sera plus temps de te ranger, et de mener la vie d’un honnête homme.

— Je n’ai pas besoin qu’on me fasse la morale.

— Pierre, je te dis tout ça parce que, s’il arrive malheur, je ne veux pas avoir de reproche à me faire. Je suis le plus vieux, et pourtant j’ai mis mon orgueil sous mes pieds. Souhaite de n’avoir pas à te repentir un jour.

— Je sais bien ce que j’ai à faire.

— Pierre, c’est une brave fille, qui t’aime bien. On serait heureux en ménage, avec une femme pareille…

— Ça suffit. Bonsoir.

Les deux hommes se séparèrent. Pierre ne se décidait pas à rentrer, il prit la sente à gauche de la maison, et s’enfonça dans la prairie.

Il ne pleuvait plus, la bourrasque s’était calmée. Par moments des rafales passaient ; des coups de vent secouaient la cime des arbres au fond de la nuit et charriaient pêle-mêle des odeurs de terres mouillées et d’herbe fraîche.

Pierre marchait au hasard des chemins, escaladant les murots de pierre sèche, traversant les vergers, où ses pieds enfonçaient dans la terre. Il ne sentait pas la morsure des ronces, enroulant leurs tiges griffantes autour de ses jambes, éraflant sa chair. Il se faisait en lui un tel désarroi, un tumulte si violent de sentiments contraires, qu’il avait besoin de marcher, de tromper par le mouvement cette agitation intérieure.