Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/18

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dans les mêmes chemins battus, coupés d’ornières profondes. Ils accomplissaient leur lourde tâche sans réfléchir, avec une lenteur de machines bien remontées, se hâtant vers un but qu’elles n’entrevoient pas.

Leur effort rude, simple, toujours renouvelé, se perdait dans le grand rythme des forces universelles. Ils peinaient sur les eaux, comme les sables qui coulent au flanc des monts, comme les souffles qui courbent les forêts, comme les sources qui rongent les rocs, sans avoir de leur vie autre chose qu’une conscience obscure.

En vain les longs hivers finissant en pluies tièdes apportaient au flanc des monts de mouvantes parures de fleurs, en vain les saules retombant sur les courants d’eau les effleuraient de la laine jaunâtre de leurs chatons, ils restaient insensibles à cette séduction que la nature indifférente semble prodiguer en de certains jours.

Un soir de novembre, là-bas, en Lorraine… Dans le village de vignerons, une petite place s’ouvrait, obstruée de fagots entassés, bordée par les pignons aigus des vieilles maisons, auprès des chènevières fermées de murs croulants.

Il avait dû pleuvoir tout le jour, mais le ciel s’était lavé subitement à l’approche de la nuit, les vents froids balayant les nuages. Des flaques d’eau luisaient, étrangement brillantes dans le noir des maisons, dans le noir des choses. Des étoiles s’y reflétaient, frissonnant soudain, quand des souffles ridaient la surface de l’eau immobile.