Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/21

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pas quinze ans, qu’elle faisait des détours pour le rencontrer dans les chemins, étonnée de sentir en elle quelque chose de doux, de profond et de fort, qui peu à peu remplissait sa vie.

Elle revoyait tout au fond de ses souvenirs, étrangement lumineux et précis, ces soirs du mois de Marie, où filles et garçons se retrouvent à la sortie de l’église, après la prière du soir. Le curé se démène, tempête, tonne dans sa chaire, qu’importe ! Ces beaux soirs de mai, pleins de clartés errantes, sont des rendez-vous d’amour. Que ce soit une profanation de faire servir à des usages si peu recommandables une cérémonie religieuse, on ne s’en met guère en peine dans les campagnes. L’église était encore vibrante de chants ; et l’harmonium laissait traîner par la porte son nasillement mélancolique, qu’ils étaient tous dehors, faisant claquer leurs sabots sur les marches du vieil escalier, se poursuivant et se bousculant dans la nuit claire. Alors c’étaient des poursuites éperdues, des bourrades robustes, de longues étreintes qui se terminaient par des baisers gloutons, appliqués aux bons endroits, dans les cheveux et dans le cou. Les pauvrettes se défendaient mollement et toute leur résistance tombait dans le rire pâmé des filles qu’on chatouille. Marthe fuyait comme les autres, vaguement peureuse et charmée, et quand un souffle brutal effleurait sa nuque, elle souhaitait presque que Pierre fût là, derrière elle, lancé sur sa trace. Quand ce n’était pas lui, elle résistait, décontenancée et furieuse, en fille qui ne cherche pas les aventures. Pierre, dame, n’était repoussé que mollement et avec toute sorte de timidités qui s’offraient presque. Comme ils lui avaient