Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/224

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ce coin de rivière lente, comme un petit village d’où montaient des cris d’enfants et des voix de femmes.

On voyait le bateau, fait de plaques de tôle jointes avec des rivets, dont l’avant se relevait comme un bout de sabot, disgracieux et lourd, dont la coque joufflue, peinte de minium vif, tirait l’œil. Tout près, la péniche charpentée avec des planches de sapin, à peine équarries par la hache du ségard, montrait le squelette de sa membrure enduite de goudron, laissait traîner au fil de l’eau des irisations changeantes. Et aussi les lourds chalands bien construits, portant une petite maison blanche avec des fenêtres à volets verts, fleuries de géraniums et de fuchsias, et une écurie, dont la porte entr’ouverte laissait voir la croupe luisante d’un cheval bien nourri.

Et sur tout cela, flottaient des mouchoirs, des camisoles roses, du linge blanc qui séchait dans le vent, pendu à des ficelles, et qui étaient comme les pavois de cette flottille arrêtée là, au tournant de la rivière.

Des enfants couraient pieds nus, sur les ponts vernis, heureux de sentir sous leurs pieds la tiédeur des planches, chaudes de soleil. Des oiseaux sifflaient dans des cages et, vers le soir, des fumées bleues montaient des petits fourneaux installés près du gouvernail, mêlant à la senteur pénétrante des colzas en fleur l’odeur des oignons frits et des sauces.

Un peu en aval, un chaland dormait sur l’eau, parmi les herbes fluviales, visqueuses et noires, qui entouraient sa coque de leur ondulation. Tout neuf et bien astiqué, il barrait le cours d’eau de sa masse imposante, et le battoir des laveuses agenouillées sur l’autre rive, éveillait le long de ses flancs des échos sonores.