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Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/34

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l’interpellant brusquement : « Voilà encore que tu fais ta tête ! » Mais cette fois il n’osa pas.

Le vieux s’effarait, sentant son fils si inquiet, si tourmenté, prêt à se détacher de leur vie, à tous les deux. Et la clairvoyance de son affection lui faisant pressentir un avenir de tristesse, il ne se décidait pas à provoquer de franches explications, dans la crainte d’un désastre.

Cette fois encore, il s’avisa d’un détour. Les mains toujours croisées sur le manche de sa bêche, il dit lentement :

— C’est ça qui vous remet d’aplomb, un temps pareil. Fallait ce brin d’chaleur pour les semailles. Quand je bêche dans mon jardin, je ne donnerais pas ma place pour un empire…

Pierre ne répondait pas.

Le vieux continua, loquace, larmoyant, attendri :

— On n’est pas riche, mais on est son maître. On mange à sa faim, après tout. J’ai rudement trimé, mais j’ai fait honneur à mes affaires. Je ne changerais pas mon sort pour celui des gens en place, dans les bureaux. On peut aller loin, on ne trouvera pas un pays plus plaisant, ni des gens plus affables…

Et son geste enveloppait tout le pays. Vus de cette hauteur, les toits du village s’entassaient, dégringolaient la pente dans une mêlée joyeuse à l’œil et cahotée. Des vols blancs de pigeons animaient le vide du battement sonore de leurs ailes. Des chats dormaient dans les gerbières, guettaient sournoisement les moineaux piaillards, sautillant sur les tuiles moussues. Et tout au loin on voyait les prés, les chènevières, la rivière coulant au fond du val en sinuosités vagabondes.