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assoupi sur le bord du bateau avait été, par le choc, précipité à la mer. Inutilement nous cherchâmes le corps de ce malheureux ; il était indubitablement devenu la proie d’un des requins. Fort heureusement pour nous, la barque n’avait touché que de côté contre la pointe d’un rocher et s’était ensuite échouée sur le sable, de sorte qu’après l’avoir dégagée nous pûmes aller jeter l’ancre près de la côte.

Le 3 janvier 1859, ayant traversé le petit golfe de Chantaboun par une mer excessivement houleuse, nous vîmes apparaître la fameuse roche du Lion qui forme comme la pointe d’un cap à l’entrée du port. De loin, on dirait un lion couché, et l’on a peine à croire que la nature seule ait moulé ce colosse avec des formes aussi curieuses, et cependant c’est l’eau qui l’a arrondi et modelé de la sorte. On comprend que les Siamois aient pour ce rocher, comme pour toutes les choses qui leur paraissent extraordinaires ou merveilleuses, une espèce de vénération. On raconte qu’un jour un navire anglais étant venu jeter l’ancre dans le port de Chantaboun, le capitaine, en voyant le lion, proposa de l’acheter, et que le gouverneur ayant, refusé de lui vendre, l’Anglais, sans pitié, fit feu de toutes ses pièces sur le pauvre animal. Le fait a été raconté par un poète siamois dont l’œuvre est une plainte touchante contre la dureté de cœur des barbares de l’Occident.

Le 4 janvier, à huit heures du matin, nous arrivions à la ville de Chantaboun proprement dite. Elle est bâtie le long du fleuve, à six ou sept milles des montagnes. Les Annamites chrétiens forment le tiers à peu près de la population de cette loca-