Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À notre vue, le chef de la troupe poussa un rugissement plus formidable encore que les autres, et tous s’avancèrent gravement au-devant de nous. Nous nous tenions baissés et en partie cachés par des troncs d’arbres et des herbes, mais ces arbres à huile étaient tous trop gros pour qu’il fût possible d’y grimper. J’armai mon fusil et me préparai à viser la tempe du mâle conducteur de la bande, seul endroit vulnérable, quand l’Annamite qui était à côté de moi, et qui est un ancien chasseur, releva mon arme, me suppliant de ne point tirer, « car, dit-il, si vous blessez ou tuez un de ces animaux, nous sommes perdus ; et si même nous réussissons personnellement à nous échapper, nos bœufs, nos voitures et leur contenu, tout sera réduit en pièces par les autres éléphants devenus furieux. S’ils n’étaient que deux ou trois, ajouta-t-il, j’aurais déjà moi-même descendu le premier, et peut-être parviendrions-nous à tuer les autres, mais en présence de neuf, dont cinq de la plus grande espèce, il est plus prudent de les éloigner. » Au même moment, le P. Guilloux, qui ne se fiait pas à la vitesse de ses jambes, déchargeait son arme en l’air pour effrayer l’ennemi. Le moyen réussit parfaitement ; les neuf colosses s’arrêtèrent étonnés sur la même ligne, firent brusquement demi-tour à droite et s’enfoncèrent dans la forêt.

Arrivés à Pemptiélan, nous descendîmes chez le mandarin dont l’autorité s’étend sur tout cette partie du Cambodge, et contre l’usage du pays il nous offrit l’hospitalité sous son propre toit. À peine installés, il vint nous visiter et me demanda le meilleur de mes fusils. Voyant que je ne pouvais m’en