Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/369

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avons mis dix jours pour aller de Keng-Khoé à Kôrat, où je fus parfaitement reçu par le gouverneur, qui, outre mes autres lettres, m’en donna une pour les fonctionnaires des provinces sous ses ordres, les obligeant à me louer, à ma première réquisition, autant de bœufs et d’éléphants que j’en mentionnerais. La plus grande partie de la population de cette ville vint au-devant de moi, avec Phraï en tête, et plusieurs habitants me comblèrent de présents : des sacs de riz, du poisson, des fruits, du tabac, le tout en abondance.

Le quartier chinois de cette ville compte soixante à soixante-dix maisons bâties avec de larges briques séchées au soleil, et entourées de palissades de neuf pieds de hauteur et fortes comme celles d’un rempart.

Toutes ces précautions sont de la plus grande nécessité, car Kôrat est un nid de voleurs et d’assassins ; le repaire de l’écume des deux races siamoise et laotienne : bandits et gens sans aveu, échappés d’esclavage ou de prison, et attirés là sur une scène plus digne d’eux, comme les corbeaux et les loups qui suivent les armées et les caravanes. Ce n’est pas qu’ils jouissent d’une impunité complète ; le gouverneur de Kôrat, fils du bodine, ou général, qui soumit Battambâng et les provinces révoltées du Cambodge, est vice-roi de ce tout petit État. Il a droit de vie et de mort, et il en use, dit-on, avec un sang-froid implacable ; il coupe une tête et un poignet sans y mette beaucoup de façons. C’est toujours la justice siamoise, justice sommaire, mais peu logique. Il n’y a ni gendarmes ni police : c’est au volé à arrêter le voleur, s’il