Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/380

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sans lui, aucune communication ne serait possible pendant sept mois de l’année ; tandis qu’il n’est pas de lieu, quelque épouvantable qu’il soit, que l’on ne puisse traverser avec son secours. Il faut l’avoir vu dans ces chemins que je ne puis appeler que d’un nom, chemins du diable, qui ne sont que des ornières de deux et trois pieds de profondeur, de véritables ravins pleins de vase. Tantôt se laissant glisser, les pieds rapprochés, sur l’argile pétrie et molle des pontes escarpées et élevées ; tantôt à demi plongé dans la fange, et l’instant d’après debout sur des roches aiguës d’où l’on penserait qu’un Blondin seul pourrait se dégager ; il franchit des troncs énormes, brise les jeunes arbres et les bambous qui s’opposent à sa marche, et se couche à plat ventre pour aider aux cornacs à replacer le bât qui glisse de son dos ; puis, mille fois dans un jour, passant sans les heurter entre des troncs qui ne lui livrent que juste l’espace nécessaire, sondant avec sa trompe la profondeur de l’eau et celle des bourbiers pour assurer sa marche, s’accroupissant et se relevant tour à tour jamais il ne bronche ou ne fait un faux pas. Il faut, dis-je, l’avoir vu à l’œuvre dans sa patrie, dans les lieux qu’il hante de prédilection, à l’état de liberté, mais dressé, pour se faire une idée de son intelligence de sa force, de sa docilité, de son adresse, et surtout de la manière admirable dont fonctionnent toutes les articulations dont on a cru pourtant pendant si longtemps ce colosse dépourvu ; on est alors convaincu qu’il n’est pas une grossière ébauche de la nature, mais une créature faite, non pas pour confondre l’esprit de l’homme, mais pour lui donner