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mais tu me feras plaisir en agissant comme je te le dis.

Agis de la sorte, lui dit-il, en terminant : et je crois que tu n’auras jamais lieu de te repentir d’avoir suivi mes conseils.

À ce moment, un sifflement perçant annonça la venue du train.

Ils rejoignirent les autres.

Pendant quelques minutes on se parla très vite pour se dire le plus de tendresses possible, on se serra les mains, on s’embrassa ; puis, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, le train était reparti et M. et madame Leblanc restaient seuls avec Marie-Louise, regardant une lumière rouge qui s’enfuyait.

Dans le char, les jeunes gens faisaient leurs préparatifs de sommeil : ils avaient retenu des lits, ne devant arriver que le lendemain matin à Montréal.

Soucy, qui remarquait décidément les jolies filles, disait à Édouard : tu as vu notre gentille enfant de l’assemblée ?

— Était-elle aux chars, demanda Édouard ?

— Oui.

— À ton intention, peut-être, dit Lavoie.

— Oh ! non, je sais, qui c’est, maintenant : c’est mademoiselle Coutu ; papa et son père ont eu des démêlés dans les élections, qui rendent une pareille supposition impossible.

— Qu’importe, on fait une coalition.

Édouard ne sembla pas apprécier la plaisanterie.

Un dernier bonsoir ; et tous trois partirent pour le pays des rêves à une allure encore plus rapide que celle de la locomotive.

Quand Édouard s’éveilla, le train était entré à la gare Bonaventure, depuis un quart d’heure. Les passagers étaient presque tous disparus et un manœuvre nettoyait à grande eau la fenêtre du char qui ouvrait sur son lit. Il réveilla ses compagnons, constata qu’il faisait beau, bâilla, s’étira, puis fit sa toilette en un tour de main. Ils descendirent tous trois ; Lavoie et Soucy, qui n’avaient que des valises à main, lui souhaitèrent cordialement le bonjour, lui promirent de le revoir à l’ouverture des cours, à neuf heures, et s’éloignèrent précipitamment, impatients de se retrouver chez eux.

Édouard resta seul.

C’était une belle matinée de septembre et il aspirait l’air frais du matin, tout en s’emplissant les yeux de ce paysage si connu d’asphalte, de pierres, de briques et de grands édifices aux laides cheminées.

Il marchait avec ce plaisir particulier qu’on éprouve en mettant pied à terre après un long voyage.

Il pénétra dans le grand hall aux sonorités d’église, traversa la salle où se vendent les billets et sortit sur le trottoir pour héler un cocher.

Celui-ci fit monter Édouard ; puis, évitant les bornes en pierre que la compagnie du Grand-Tronc a mises là pour faire damner les jéhus, il vint arrêter sa voiture à l’extrémité sud de la gare, où les employés du chemin de fer entassaient les bagages avec une hâte fébrile.

Pendant qu’à travers ce tohu-bohu incroyable il cherchait les valises et tentait d’assortir les coupons qu’il tenait à la main avec ceux que portaient les pièces de bagage, Édouard se mit à songer.

Sa première pensée fut pour ceux qu’il venait de quitter : il se représenta, avec un plaisir demi chagrin, où ils étaient et ce qu’ils faisaient, à cette heure-là.

La mer est haute ; au large de Saint-Germain, l’Île déploie sur les flots sa masse sombre de sapins vert foncé ; et