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les flots clairs, au soleil levant, lui font un décor admirable.

La maison est dans l’ombre d’un côté ; mais de l’autre, le soleil éclaire brillamment une grande chambre vide. En bas, on est à table ; et peut-être son œil se mouille-t-il, en voyant la famille rassemblée pour le déjeuner auquel il n’assiste pas.

Trêve à ces attendrissements : tout à l’heure, il écrira : cela le soulagera. Maintenant, c’est l’université, les cours et l’étude.

Six mois encore et il sera avocat ; avocat, quel rêve… Pourquoi a-t-il étudié le droit ? Réussira-t-il ? Oh oui, il en a la ferme conviction. — Où parviendra-t-il ? Que deviendra-t-il ?

Il fait un effort et revient à la vie réelle.

Son cocher serait-il parti avec les valises, lui laissant son attelage en retour ?

Enfin, le voici ! Il sue à grosses gouttes et paraît bien décidé à demander double prix.

On hisse les valises ; un coup de fouet ; et, en route !

Le cheval trotte allègrement ; ses sabots frappent joyeusement l’asphalte. La voiture ne quitte une petite rue peu fréquentée que pour en prendre une autre semblable, évitant les rues où le trafic et l’encombrement des véhicules ralentiraient son allure.

Il n’y a rien de tel que ces courses en voiture pour découvrir la Ville : vous passez par des rues dont vous ne soupçonniez même pas l’existence.

La voiture s’engagea dans la rue Sherbrooke, tourna au coin de la rue St-Denis et vint s’arrêter devant le numéro 720 G.

C’était une pension privée où Édouard avait continuellement été depuis son arrivée en ville.

Il entra, répondit aux compliments de bienvenue qu’on lui fit ; et, une fois ses bagages installés et le cocher payé, il se mit à table pour déjeuner.

Quand il eut fini, il regarda l’heure.

Neuf heures moins vingt : « j’ai du temps de reste ».

Le logement où il demeurait était un haut, comprenant deux étages ; il descendit donc l’escalier qui conduisait au vestibule ; rendu sur le perron, il s’arrêta un instant et alluma une cigarette. Il descendit lestement les quelques marches du perron et prit à petits pas le chemin de l’Université.

Quelques étudiants stationnaient au coin de la rue Saint-Denis et de la rue Sainte-Catherine, en face de la pharmacie Baridon ; un plus grand nombre encore se tenaient au coin opposé ; d’autres étaient appuyés à la clôture qui entoure le parterre de l’université. Il y en avait partout et plus particulièrement sur le grand escalier et sur la terrasse, où des drapeaux et des plantes mettaient un air de fête.

Tous étaient gais et parlaient avec entrain : on avait tant de choses à se raconter.

Édouard fut salué par des acclamations. — C’était la bienvenue ordinaire.

On ne se contentait pas des récits de vacances, on discutait les événements d’actualité et — faut-il le dire ? — on glosait sur la mine des passantes. Les auteurs de la Grande Glose en eussent probablement été déconcertés.

Pendant que l’un racontait une course de quelques jours, en canot, sur le Saint-Maurice, et décrivait d’une façon vécue les délices que l’on éprouve à camper en plein air et à être dévoré par les maringouins, un autre exhibait un journal et devenait le centre d’un groupe nombreux et animé.

C’était « La Justice » l’organe de Rolland Ollivier.

L’article qui occupait l’attention était intitulé : « À bas les Fêtards ! » et