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mais comme ils en imposent plus que lui, ils résistent mieux. C’est dégoûtant, c’est décourageant. Je me demande comment il se fait que nous nous laissons gouverner par des gens semblables.

Ils étaient en face de la rue Berri : Soucy, peu accessible aux émotions violentes, prit le chemin de sa chambre, sur la rue Berri, en songeant qu’il allait bien dormir.

Il oubliait la grandeur qu’il y a à vouloir le bien de son pays, le devoir de s’y intéresser et de payer au besoin de sa personne.

Or, s’il est un temps où il convient d’agir, c’est celui où les politiciens au pouvoir bafouent le peuple et travaillent à ruiner la Province.

Ironie des choses : voir les sans-principes au pouvoir, et les honnêtes gens les laisser là, impunis.

Enfin, comme se disait Édouard, c’en était toujours un de moins et c’était aussi un éloquent aveu de culpabilité de la part du gouvernement.

Autant de pris.

Et ces pensées, de sa part, avaient d’autant plus de valeur et de poids qu’elles étaient absolument désintéressées. Il était trop jeune, croyait-il, pour bénéficier autrement que dans un avenir très éloigné d’un changement de gouvernement. Aussi s’il souhaitait, à bon droit, que ce changement survint à brève échéance, c’était uniquement parce qu’à un gouvernement rongé par la corruption et l’incurie, il voulait qu’il en fût substitué un autre plus soucieux des besoins de la Province et des devoirs qu’impose le patriotisme.


CHAPITRE IX.

À bâtons rompus


Par une froide et pluvieuse soirée de la fin de novembre, Ricard et Édouard se trouvaient dans la chambre de ce dernier. Ils causaient. Au dehors le vent faisait rage et l’on entendait l’eau dégoutter interminablement le long du toit. Ils n’en avaient cure, trop intéressés à ce qu’ils se disaient, assis dans une chambre bien chauffée et sous la lumière brillante d’un manchon de gaz incandescent.

Tandis que, dans les campagnes, les champs s’étendaient, noirs et sinistres, que l’orage effrayait les animaux, réfugiés dans les étables, que les chemins devenaient une ligne invisible et dangereuse à suivre dans la nuit, et que le vent jetait partout une clameur de mort, froide, comme les croix des cimetières, eux, — les vivants, — chaudement à l’abri, s’entretenaient des événements de l’heure présente.

Ils s’étaient pris d’amitié, à mesure qu’ils s’étaient connus et estimés, et se traitaient maintenant comme deux vieux camarades.

À la suite de la démission de Ravaut, le gouvernement avait décidé de faire les élections, dans quatre comtés qui étaient alors ouverts, espérant ainsi fortifier sa position.

On avait préparé l’élection soigneusement, dans chaque comté ; quand tout avait été prêt et qu’on sut même la majorité qu’on aurait, on feignit de commencer la lutte électorale et l’on invita Ollivier à aller se faire battre dans un des quatre comtés, à son choix.

Il eut parfaitement pu attendre les élections provinciales et se moquer de ses adversaires. Au lieu de cela, il se présenta et fut, on le comprend, défait.

— Pour moi, disait Ricard, cette élection ne signifie absolument rien.

— Crois-tu, disait Édouard ?

— Certainement : c’est un comté radical et qui avait été, de plus, préparé en sous-main : que voulais-tu qu’Ol-