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livier y fasse ?

— Il aurait pu ne pas se présenter.

— C’était difficile : en dépit de toutes ses preuves passées de bravoure, la presse ministérielle le traitait de lâche. C’était ridicule, surtout quand les radicaux ont fui ses assemblées comme s’il avait été le diable en personne, pendant des mois. Mais, on lui demandait d’être téméraire, il l’a été.

— Ce qui m’amuse, c’est qu’il s’est trouvé un radical pour lui reprocher de s’être présenté, — quand il aurait dû le remercier d’avoir bien voulu tomber dans le piège que lui avaient préparé ces honnêtes radicaux. Il a fait un fou de lui : veulent-ils nous dire, ces bons radicaux, s’ils savent ce qu’ils veulent.

— Ils veulent garder le pouvoir.

— La défaite d’Ollivier va avoir un bon effet pour eux : elle va faire oublier la démission forcée de Ravaut.

— Dans les circonstances, elle n’affectera pas grand’chose. Elle est très facile à expliquer et elle n’explique pas du tout, par exemple, les transactions indignes auxquelles s’est livré le gouvernement ni ne réhabilite Ravaut et ses collègues, qui lui ont prêté mainte pour ses méfaits. On ne l’a toujours pas renommé ministre.

— Pourtant certains journaux prétendent…

— Oh ! les journaux ils sont toujours du côté du plus fort. Rappelle-toi ce qu’ils disaient, la veille de l’élection : « Si M. Ollivier gagne, il remportera là un succès immense, mais, somme toute, il n’a pas grand’chose à perdre. » La veille, ils disaient : il n’a rien à perdre ; et, le lendemain, ils prétendaient le contraire. Si les gens attachent de l’importance à ce qu’ils peuvent dire, ils ne sont pas difficiles.

— Ça produit un certain effet.

— Oui, les événements considérables produisent toujours de l’effet, sur le coup : mais, plus tard, qu’est-ce qu’il en reste ? on dira : la défaite d’Ollivier s’explique bien par le manque de temps et d’organisation, par la cabale faite par son adversaire, et elle ne prouve rien du tout en faveur de celui qui l’a défait en traître ; mais la démission de Ravaut, elle, s’explique aussi, et elle s’explique par sa culpabilité et celle de ses collègues.

— Ça ne serait pas arrivé si les modérés s’étaient remués davantage.

— Parlons-en des modérés ; toi qui en es un, Leblanc, je te souhaite d’être plus actif qu’ils ne le sont, quand tu te mêleras de politique… Une bande d’endormis !…

— Pourtant il se fait un certain mouvement ; ils s’organisent.

— C’est très bien ; mais qu’ils se montrent ; qu’ils agissent ; qu’ils écrivent. S’ils avaient seulement la moitié de l’activité et de l’entrain des radicaux, ils seraient rendus autrement loin qu’ils ne sont. Le mouvement inauguré, par Ollivier, ce sont eux qui auraient dû le commencer.

— Ils tâchent de reprendre le temps perdu, maintenant.

— À quelques endroits, je te l’accorde ; mais, à un trop grand nombre d’autres, ils sont simples spectateurs.

— Laisse-leur le temps.

— Ils le prennent bien assez. Penses-tu que si Mercier s’était conduit de cette façon-là, il serait jamais arrivé au pouvoir ?

— Il me semble pourtant qu’ils ne peuvent manquer d’y arriver, après tous les scandales qui viennent d’éclater.

— Je crois comme toi qu’ils ont droit au pouvoir et que le peuple a le devoir de le leur donner et de ne pas continuer d’accorder sa confiance à des hommes qui s’en sont manifestement rendus indignes.