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le tuer à Ottawa, celui-là

— Il n’y aurait pas moyen de le faire disparaître ?

— Comme l’officier rapporteur de Sorel ?

— Ce serait imprudent : il est trop tard, maintenant. Vous comprenez bien que personne ne serait dupe. Ce serait assez pour nous faire tomber. Sans compter qu’il y aurait encore un danger plus grave…

— Hum !… Hum !…

— Il faudrait pourtant s’en débarrasser… Nous avons essayé d’envoyer Rivard en prison et ça n’a pas réussi…

— Et la « Justice » qui augmente toujours sa circulation, tandis que celle du « Matin » est en train de venir à rien.

— C’est déplorable.

— Il faudrait faire quelque chose.

— Oui, mais quoi ?

— Il faudrait d’abord ruiner Ollivier devant l’opinion publique.

— Comment ?

— Il n’y aurait pas moyen de le prendre au piège, de lui faire commettre quelque bévue ?

— C’est impossible.

— Il faudrait l’attaquer dans les journaux ; et de telle manière qu’il ne s’en relève pas.

— « L’Indépendant  » et le « Matin » ont essayé ça.

— Oui ; mais de quelle façon ! les imbéciles ! Ils ont écrit des articles qui lui ont fait plus de bien que de mal.

— Le fait est que ce n’était pas fort.

Je crois, dit Potvin, que mon secrétaire, Giroux, serait bon pour nous faire ça.

— Est-il capable ?

— Je le crois.

— Voudra-t-il ?

— Oh ! oui ; c’est un bon garçon.

— Alors, tout serait pour le mieux.

— Qu’il commence le plus vite possible.

— Ne soyez pas en peine.

— C’est ça.

Les ministres se disposèrent à quitter le bureau de Potvin.

Entre nous, leur demanda-t-il, croyez-vous que nous puissions résister ?

— Bah ! les gens ne voient pas clair.

Mon idée, moi, reprit Potvin, c’est que nous n’en avons pas pour longtemps.

— C’est possible.

— Ça durera ce que ça durera.

— Profitons-en, pendant que ça dure.

Et tous : au revoir, mon cher collègue.

— Au revoir, messieurs.

L’huissier ouvrit la porte et les ministres sortirent, pendant que les assistants s’inclinaient comme au passage du Saint-Sacrement.

Il baisse, il baisse notre collègue, disait un des ministres à ses compagnons, en sortant.

— Il craint le même sort que Ravaut.

— Il l’aurait richement mérité.

— Qu’il devienne ce qu’il pourra, ça m’est égal.

— C’est qu’il pourrait bien nous entraîner avec lui.

— Oh ! ça, par exemple !…

Chaque ministre rentra dans son bureau particulier, faisant trembler les fonctionnaires, sur son passage.

Potvin sonna Giroux ; il le fit asseoir et eut avec lui la conversation racontée par Giroux dans sa lettre à Ricard.

Giroux sortit, pendant que Potvin, confondant les mots et les qualités comme il confondait le tien avec le mien, disait, presqu’avec conviction : « quel manque de dévouement. »

Ceux qui faisaient antichambre et attendaient leur audience regardaient Giroux, se rasseyant comme si rien d’extraordinaire ne se fut passé, et enviaient sa facilité de pénétrer à tou-