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te heure du jour auprès du ministre.

L’honorable Potvin sortit sur le pas de la porte ; et, tout en examinant Giroux sans en avoir l’air, il jeta un regard circulaire sur ceux qui l’attendaient, saluant à la ronde ses connaissances.

Entrez donc, monsieur Dion, dit-il.

L’individu ainsi interpellé, se hâta d’obéir à l’invitation.

Le ministre le reconduisait à la porte, l’entretien terminé.

Vous, Roy, dit-il.

Roy, c’était le membre de l’assemblée législative qui représentait le comté de Saint-Germain.

Après quelques phrases préliminaires, Roy exposa l’objet de sa visite : il désirait faire construire un pont en fer sur la rivière Saint-Germain.

— C’est une grosse dépense.

— Ça rendrait bien service.

— Vous auriez dû vous adresser au ministre des travaux publics.

— Je ne le connais pas et j’ai cru que…

— C’est bon ; nous en reparlerons… Par quelle majorité avez-vous été élu, aux dernières élections ?

— Quatorze.

— Vous aurez besoin d’aide, la prochaine fois. Vous savez, sans doute, que le gouvernement présente une mesure en chambre, aujourd’hui. N’oubliez pas d’être là et de voter comme il faut.

— Votre excellence sait bien que jamais de la vie je ne voterais contre le gouvernement.

— C’est bien ; revenez me voir.

Le député sort ; et tous entrent et sortent à leur tour du cabinet où Potvin les reçoit, solennel, derrière son pupitre en bois précieux.

Survient un financier en vue.

Il demande : l’honorable monsieur est-il là ?

Oui monsieur, répond l’huissier de service.

— Y a-t-il moyen de le voir ?

— Il y a quelqu’un avec lui.

— Prévenez-le donc que je l’attends.

— C’est que…

— Tenez, passez-lui ma carte ; allez ! allez !

Le ministre surgit à l’instant.

Entrez donc, mon cher. — Et à celui qui était avec lui : « Voudriez-vous m’excuser un instant. »

Ils passent ensemble un bon quart d’heure.

Puis, le ministre reconduit le financier ; par la porte entr’ouverte, on peut l’entendre répéter au prince de la finance : « C’est très bien !… c’est parfait… Tout ce que vous voudrez, mon cher… Oui, oui ; certainement ; c’est entendu. »

La session bat son plein ; tous les jours, à la même heure, avant d’aller prendre son siège à la chambre, l’honorable Potvin donne audience ; — et s’il est permis d’espérer qu’il s’occupe, de temps à autre, du bien de la Province, il n’est pas permis de douter qu’il ne s’occupe du sien propre.


CHAPITRE XXI.

Mondanités


Debout devant son miroir, Édouard est tout entier absorbé par cette tâche à laquelle le sexe fort est assujetti, passé la vingtième année : il se fait la barbe.

En manches de chemises, l’air grave, il prend alternativement le rasoir et la savonnette, et se dénude le menton avec un art consommé.

Son attention et son soin sont extrêmes ; et non sans raison. Pensez donc : arriver chez les gens avec une balafre ou le visage incomplètement rasé ; ça ne fait pas ; et il redouble de précautions et d’adresse ?