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à rire, à causer, ou à faire de la musique.

Je vous attends pour chanter certaine chanson, que je ne pourrais, je crois, chanter sans pleurer, maintenant que vous n’y êtes plus.

Et, au milieu de toutes mes occupations, à toute heure du jour, et de la nuit, quand je me réveille, je pense à celui qui s’en est allé avec mon cœur ; et, en attendant les joies du retour, je suis heureuse et je vous aime.

Blanche.


Édouard songea au sommeil.

Il éteignit la lumière, sa lettre à la main ; puis, une fois sous les couvertures, il la glissa sur sa poitrine — et s’endormit avec son amour.


CHAPITRE XXII.

Le « Progrès »


La session était finie. Dans les salles de l’assemblée législative et du conseil législatif, les échos s’étaient tus.

La farce parlementaire de l’écrasement et du bâillonnement d’une infime minorité, par une majorité servile, était terminée.

Les élections s’annonçaient prochaines et le peuple allait avoir son mot à dire.

La Vérité et la Justice prévaudraient-elles ?

Les modérés, faisant trêve à leurs divisions mortelles et secouant leur inertie, avaient ouvert la campagne électorale, pendant qu’Ollivier s’attaquait de nouveau au tronc vermoulu de l’arbre du gouvernement et, la hache à la main, comme un bûcheron, abattait à coups redoublés les vains obstacles qu’on lui opposait, répandant dans le camp ministériel la rage et l’effroi.

Son collaborateur dévoué et infatigable à l’œuvre du progrès et de la régénération, Jean-Baptiste Rivard, continuait, dans la « Justice » son travail d’assainissement : la vénalité, la corruption et le faux patriotisme y étaient impitoyablement dévoilés et fustigés à mort. Comme l’immortel héros de Rostand, rien ne l’arrêtait ; où qu’il vit le mal, il frappait, estimant justement que l’honnêteté et la justice priment tout. Il se battait, et, différant en cela de Cyrano, il voyait autour de lui tomber ses ennemis, comme des arbres qu’abat un vent de tempête.

Édouard Leblanc applaudissait à ce mouvement. Quoiqu’un peu détourné de la politique active par les affaires de sa profession, il s’y intéressait vivement et, en attendant d’être appelé à diriger les affaires de son pays, il dirigeait les siennes propres avec bonheur, donnant satisfaction à ses patrons et se faisant un nom au palais.

Depuis que, pour être fidèle à la promesse qu’il avait faite à Blanche, ses relations mondaines se bornaient au strict nécessaire, il avait fait dans son existence une part encore plus large à l’étude et à l’amitié.

Ce qui explique que si souvent — et ce soir-là entre autres — il se trouvât en compagnie de Giroux ou de quelqu’autre ami.

Giroux avait l’air méditatif et semblait ruminer quelque chose.

À quoi pensez-vous, lui demanda Édouard ?

— Je voyais, après-midi, partir les sacs remplis de journaux, des bureaux de nos grands quotidiens, et je pensais à l’effet qu’ils produiraient et aux conséquences incalculables qu’auraient chacun des articles.

— Oui, je vois le tableau d’ici : les gens rassemblés autour du bureau de poste du petit village et attendant que