Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 70 —

tait, elle acquiesça gracieusement et se mit au piano.

Pendant qu’elle rendait, fort bien, ma foi, un nocturne de Chopin, Édouard regardait la fête ; et, voyant les choses sous leur vrai jour, il se disait qu’il y avait là assez de garçons d’esprit et de gentilles enfants pour qu’on pût se divertir d’une façon infiniment plus intelligente, plus simple et plus agréable. — La mode est une terrible gâcheuse de tout ce qu’il y a de bon et de sain.

Le morceau de piano fini, on applaudit discrètement.

Alors, au milieu des conversations, la musique succéda aux déclamations et les déclamations à la musique.

Le jeune dude de tout à l’heure rendit, pas mal du tout, une pièce joliment indiscrète, — ce qui jeta un certain froid.

On pria Édouard de dire quelque chose, à son tour. Avec beaucoup de pathétique et de vérité, il dit Péri en Mer, de Botrel.

Par je ne sais quelle magie, une réaction se fit alors : le bon sens et le naturel, qui avaient paru totalement absents, revinrent peu à peu, à mesure que les diseurs d’inepties se fatiguaient, et on causa beaucoup plus simplement de choses plus intéressantes.

Le reste de la soirée se passa fort agréablement et le réveillon fut très gai.

Ce qui n’empêche pas, qu’en rentrant à sa chambre, après être allé reconduire une jeune fille, Édouard se félicitait d’avoir mieux que toutes les amitiés de surface et tous les plaisirs frelatés que nous offre la soi-disante bonne société.

Avant de se mettre au lit, il prit et relut plusieurs fois cette lettre, reçue le matin :
Mon cher Édouard,

Si vous m’aviez demandé la permission d’aller dans le monde et de vous divertir, alors que vous êtes loin de moi, ou si vous l’aviez prise sans la demander, comme vous auriez eu le droit de le faire, je n’aurais rien dit et j’aurais souffert.

Au lieu de cela, vous m’annoncez votre détermination de ne plus aller dans le monde et de vous contenter, pour toute distraction, de ma lointaine amitié. Soyez mille fois remercié de ce généreux mouvement, et soyez assuré que je vous en aimerai davantage.

Je crois qu’une telle preuve d’amour et de scrupuleuse fidélité nous rapproche encore plus, malgré les lieues de distance qui nous séparent.

Marie-Louise m’a lu la dernière lettre que vous lui aviez écrite ; et je préfère avouer l’indiscrétion dont nous nous sommes ainsi, toutes deux, rendues coupables, plutôt que de laisser passer sans vous en remercier toutes les bonnes choses que vous y dites de moi. — Ainsi, la prochaine fois, soyez sur vos gardes… et parlez plutôt en mal.

Vous me demandez à quoi je passe mes journées : heureusement que j’ai du ménage à faire et que maman me trouve souvent de l’ouvrage, car je les passerais peut-être à penser à quelqu’un que vous connaissez.

Comme vont les choses, au lieu de cela, je frotte et je nettoie, une partie de la journée ; il y a aussi la couture : de sorte que je me rends souvent au soir sans avoir eu une minute à moi.

Quand je suis libre, l’après-midi, je vais voir Marie-Louise. Souvent elle vient, elle aussi, et me tient compagnie, pendant que je travaille, — quand elle ne me donne pas un coup de main.

Les soirées, je les passe en famille,