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Mais il faut à ce jeu, un tact et une diplomatie, qui sont souvent l’apanage des femmes, de sorte que tel qui croyait faire ce qu’il voudrait de sa femme devient le jouet de sa fiancée.

On ne saurait nier qu’il n’y ait encore des amours pures, simples et sincères. Puisse le nombre n’en pas diminuer davantage : ces amours sont déjà assez clairsemées.

À la lettre de Blanche, Édouard avait répondu :


Chère Blanche,

Que vous me rendez heureux.

Vous êtes bien telle que je croyais et j’aurai du plaisir à être — comme vous dites — votre maître et, néanmoins, votre humble esclave.

Si vous saviez comme j’ai hâte à cet été et aux quelques jours que nous passerons ensemble : là ! nous nous parlerons à cœur ouvert. Mais je veux, en attendant, vous dire un peu l’idée que je me fais de l’existence à deux. J’ai insisté sur le côté sérieux et austère du mariage, et sur les devoirs qu’il est nécessaire de bien remplir, préalablement, pour que le bonheur puisse subsister.

Mais, ces conditions de sacrifice, de travail, de dévouement et de religion remplies, quelle félicité sera la nôtre !

Vous serez mon unique amie, ma compagne, ma confidente, mon tout, mon unique raison de vivre ; tous mes soupirs et tous mes pas seront pour vous.

Je serai votre protecteur et vous serez ma force, car votre amour sera mon plus puissant motif de travail et d’ambition.

Oh ! ne plus nous quitter, Blanche, et nous aimer toujours : quel rêve et que la réalisation en sera douce !

Je n’envie pas leurs chimères aux rêveurs, leur idéal aux poètes, ni leurs découvertes aux savants ; je ne veux plus qu’un seul bien, et c’est vous.

Quand nous sortirons de l’église de Saint-Germain, au bras l’un de l’autre, Blanche, en vérité, je crois que je serai près du ciel.



CHAPITRE XXVI.

Le revoir


On était rendu au milieu d’août et la chaleur était accablante en Ville.

Tous ceux qui l’avaient pu s’étaient enfuis à la campagne ; et sur la rue Saint-Jacques, la rue des hommes d’affaires, plusieurs ne faisaient que des apparitions périodiques. On voyait maintenant passer sur la Place-d’Armes beaucoup plus d’Américains et d’Américaines en voyage de plaisir que d’avocats et de gens d’argent.

Les Américains du sud des États-Unis pour qui la chaleur de Montréal n’était qu’une brise rafraîchissante, inspectaient nos monuments, faisaient l’ascension des tours de Notre-Dame et jetaient des oh ! et des ah ! d’admiration et de curiosités satisfaites ; et payaient grassement nos cochers montréalais.

Les rares passants cherchaient le côté de l’ombre et se hâtaient à l’ouvrage, afin de finir leur journée plus vite et de fuir plus tôt le centre de la Ville et l’asphalte surchauffé.

C’était le samedi après-midi ; Édouard était remonté à sa chambre et se préparait au départ pour chez lui ; car si sa position de jeune avocat ne lui permettait pas de faire comme ses patrons et de s’accorder un ou deux mois du villégiature intermittente, du moins avait-il obtenu quinze jours de vacances.

Peu accoutumé aux chaleurs de la Ville, il suait sang et eau, en rangeant ses effets et en empilant dans sa valise ceux qu’il se proposait d’apporter.