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Édouard le félicitait de son succès et lisait son journal avec un plaisir toujours nouveau.

Un matin qu’il le parcourait, à son habitude, il aperçut l’entrefilet suivant :

« Nouvelle politique »

« On annonce la candidature d’un jeune homme de talent et d’avenir, qui sera pour monsieur Roy un adversaire redoutable. Le nouveau candidat serait particulièrement estimable et doué des qualités les plus solides et les plus brillantes, digne enfin de tous les suffrages et de la confiance générale, et capable de répondre aux espérances qu’on fonde sur lui. On dit aussi qu’il sera le choix unanime des modérés et que sa candidature sera même vue avec plaisir par grand nombre de radicaux, dégoûtés à bon droit de la conduite politique de leur partie et encore plus fatigués de la nullité remarquable de notre ombre de représentant. »

Ce diable de Giroux, se dit Édouard, qu’il a donc le tour d’allécher les gens par l’attrait du mystère et de créer des rumeurs qui font attendre les gens après le prochain numéro de son journal comme si leur sort en dépendait.

J’ai dit qu’Édouard, au milieu de l’excitation de la politique et des affaires, n’oubliait pas son amour.

Il faisait plus : non content des garanties ordinaires, il voulait aussi garantir l’avenir contre tous les hasards de la maladie et des accidents, et — souci prosaïque mais bien placé et que tous devraient avoir — il avait assuré sa vie au profit de sa future épouse.

L’agent d’assurance avec lequel il avait fait affaire sortait justement de son bureau, quand on frappa à la porte.

Entrez, cria Édouard.

On entra ; et, à sa grande stupéfaction, Édouard vit apparaître qui ? le père Lepage, un des vieux les plus estimés de Saint-Germain, Delphis Roy et les maires de cinq des plus populeuses paroisses du comté de Saint-Germain.

Pressentant quelque chose, mais ne sachant trop quoi, Édouard resta un moment interdit ; puis, il crut à un voyage d’affaires, dont ils avaient profité pour venir le saluer.

Il leur tendit la main, disant : bonjour ! bonjour ! Vous voilà donc en Ville ? Comment ça va-t-il, père Lepage ? Vous avez été bien aimables de venir me voir. Asseyez-vous donc. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau à Saint-Germain ?

— Sauf vot’respect, monsieur Leblanc, répondit le père Lepage, qui était demeuré debout, on est v’nus à Montréal, exprès pour vous voir.

— Qu’est-ce que je puis faire pour vous, demanda Leblanc ?

Le père Lepage chercha une belle phrase ; et, n’en trouvant pas, dit tout simplement : nous voudrions vous avoir pour député.

L’article du « Progrès » était pour moi, pensa Leblanc.

Il remercia ses concitoyens et leur dit combien il trouvait leur demande flatteuse.

Mais, leur dit-il, je ne suis pas très vieux et je n’ai pas grand’expérience ; vous trouveriez facilement de meilleurs hommes que moi.

— Non ; c’est vous que nous voulons avoir : un honnête homme de vingt-cinq ans en vaut un de quarante et vaut mieux qu’un coquin de soixante.

Derrière cette insistance, Édouard, ému, devinait le souvenir de son cher père, qui, mort, le soutenait et l’aidait encore du prestige qu’il avait laissé attaché à son nom.

Néanmoins, il ne savait que faire, absolument pris au dépourvu par cette