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« Louis, » avait dit le père Duverger, « si tu veux me promettre de travailler et de te conduire comme il faut, je vais t’envoyer au collège. Tu as bien réussi dans tes classes, à venir jusqu’à maintenant, et je suis disposé à te faire instruire. J’ai des moyens, et je peux faire cela ; si je n’avais pas assez d’argent, je ne priverais pas ta mère et tes sœurs pour toi, mais je peux le faire. Quand tu seras instruit, il ne faudra pas que tu nous méprises ; un honnête homme est toujours honorable, quand il fait son devoir, qu’il soit un « habitant » ou un « avocat. »

Louis s’était jeté en pleurant de joie dans les bras de sa mère et il avait promis à son père de lui donner satisfaction.

Le père alla voir son fils, pendant l’année, veilla à ce qu’il ne manquât de rien et s’informa des professeurs s’il travaillait bien, lisant : « je ne connais pas cela, mais s’il vous donne satisfaction, c’est bien ; » puis quand les vacances arrivèrent et que l’enfant sortit, les bras chargés de prix, il lui dit, au bout de quelques jours, qu’il n’entendait pas le garder à rien faire pendant l’été, mais qu’il devait se rendre utile. Louis travailla donc comme ses frères, à des tâches proportionnées à ses forces, avec le résultat qu’il ne contracta pas d’habitudes d’oisiveté et que sa santé s’en trouva mieux.

Après dix ans de cette forte discipline, ses lèvres avaient pris un pli sérieux qui contrastait avec l’expression franche et gaie de ses yeux bruns et qui inspirait la confiance.

Il était actuellement en vacances, sorti depuis tantôt deux mois de l’université Laval, de Montréal, où il allait prochainement retourner pour continuer ses études de droit.

Pour le moment, il ne songeait guère aux études et il ne pensait qu’à une chose : ferait-il beau pour le pique-nique que donnaient la femme du docteur Ducondu et quelques autres dames et auquel elles lui avaient fait l’honneur de l’inviter ?

On a beau être sérieux et studieux, on n’est pas insensible à de telles invitations, surtout quand les vacances tirent à leur fin et qu’on n’aura peut-être plus l’occasion, une fois le pique-nique terminé, de revoir les jolies voisines et les séduisantes jeunes filles venues de la ville, qui passent en riant si gentiment dans les rues du village. Louis n’était pas romanesque, mais il avait vingt ans, et quand il avait rencontré Ernestine Ducondu et Marcelle Doré et que les deux jeunes filles lui avaient dit : « nous comptons sur vous pour le pique-nique, monsieur Duverger, » il avait tressailli de plaisir et il avait promis d’être de la partie.

Il fit part de l’invitation à son père et celui-ci, secrètement flatté de voir son fils invité tout comme ces beaux jeunes gens de la ville qui villégiaturaient à Saint-Augustin, lui dit qu’il mettrait une charrette et un cheval à sa disposition.

Louis n’eut rien de plus pressé que d’annoncer la générosité de son père à mademoiselle Ducondu, qui le remercia fort aimablement et porta à son tour la nouvelle à sa mère.