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« Je te l’avais bien dit, maman, » fit-elle : « il n’est pas mal du tout, ce garçon-là. »

Madame Ducondu était à discuter avec quelques amies les derniers préparatifs à faire pour le pique-nique, assise sur le véranda de la maison d’été que le docteur Octave Ducondu, de Montréal, venait habiter tous les ans à Saint-Augustin, avec elle et leur fille. « C’était la dernière charrette qui vous manquait, » s’exclama-t-on, et toutes renchérirent sur les éloges qu’Ernestine venait de faire de Louis Duverger. Ces dames, que la fin de la saison d’été trouvait un peu désœuvrés avaient remarqué le grand garçon qui leur cédait si poliment le passage lorsqu’elles le rencontraient sur les étroits trottoirs du village et elles parurent enchantées de la perspective de faire sa connaissance.

Après s’être occupées des mondains et des mondaines venus à Saint-Augustin pour y étaler leurs toilettes et leurs belles manières, pour s’y amuser et pour se recouvrir les joues de la couche de hâle qu’il est de bon ton de posséder, à l’automne, au retour à la ville, elles voulaient se donner le plaisir nouveau de lier connaissance avec ce jeune homme, qui n’était pas de leur monde, mais qui avait l’air aussi intelligent et qui paraissait aussi bien et mieux que n’importe quel gommeux de la belle société.

« C’est un étudiant, n’est-pas, demanda l’une d’elles ?

— Oui, répondit Ernestine : il est dans la seconde année de droit, à Laval.

— Et où l’as-tu connu, petite dissimulée, demanda une autre ?

— Oh ! c’est Marcelle Doré qui me l’a présenté.

— La sœur d’Arthur Doré, qui étudie le droit à Laval ?

— Justement.

— Pourquoi Arthur n’a-t-il jamais songé à nous le présenter ?

— Il disait que monsieur Duverger était timide et que cela le gênerait.

— Comment se fait-il qu’il a accepté, s’il est si timide ?

— Je ne l’ai pas trouvé timide.

— Ah ! ah !… Tu l’as apprivoisé..

— Je ne sais pas, j’étais avec Marcelle, qu’il connaît bien, répondit Ernestine, en rougissant.

« Il faudra la surveiller, » dirent avec malice plusieurs des amies de la jeune fille, en s’adressant à madame Ducondu, et Ernestine, qui ne savait plus que répondre, s’enfuit dans la maison, pour échapper aux railleries au sujet de celui qu’on appelait sa « nouvelle conquête. »

La « nouvelle conquête » était descendu au rez-de-chaussée, après avoir fait l’inspection des quelques nuages blancs qui peuplaient l’horizon bleu et avoir dit, à haute voix, avec une satisfaction évidente : « il va faire beau. »

Il prit un déjeuner sommaire, souhaita le bonjour à son père et à sa mère, puis s’en fut atteler le meilleur cheval de l’écurie à une