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et offrirent aussi leurs services, et en peu de temps, ils avaient placé sur les charrettes, tous les bagages, les provisions, les nappes qu’on devait étaler sur l’herbe, la vaisselle, les tapis sur lesquels on devait s’asseoir.

D’autres voitures arrivèrent, et bientôt tout fut prêt et on partit.

On arrêta à plusieurs endroits et les jeunes gens coururent galamment chercher les invités. À chaque fois, c’étaient des exclamations de plaisir, des cris, des rires à n’en plus finir. On s’installait comme on pouvait dans les charrettes, où on se rapprochait forcément de plus en plus les uns des autres, surtout quand un cahot ou un heurt subit faisait sauter les voitures sans ressorts, dont tous les occupants étaient alors fortement secoues. À chaque arrêt, des provisions nouvelles s’ajoutaient aux autres, sur le devant des charrettes, car chaque ménagère contribuait sa quote-part ; on en eut bientôt assez pour deux ou trois jours, — et cela augmentait sans cesse.

Après avoir passé la dernière maison, les charrettes partirent au petit trot, ce qui arracha quelques jolies exclamations d’une frayeur stimulée aux pique-niqueuses.

Josaphat Beaulieu, le cultivateur sur la propriété duquel devait avoir lieu le pique-nique, avait d’avance ouvert toutes les barrières, pour qu’on pût se rendre au bocage qui était l’endroit choisi. Il avait même préparé ce qu’il fallait pour faire chauffer la soupe, avec cette courtoisie et cette obligeance qui sont le propre du cultivateur canadien-français et qui ont rendu son hospitalité proverbiale.

Il était sur le pas de sa porte et on le salua joyeusement, au passage. Il salua poliment, à son tour, et regarda passer avec un plaisir évident ces messieurs et ces dames qui lui faisaient l’honneur de venir sur sa terre et qui donnaient avec tant de grâce des friandises à ses enfants, debout près de la barrière.

La descente de voiture se fit sans encombre et tous, à la demande de madame Ducondu, aidèrent aux préparatif du lunch. On étendit les nappes, on mit les couverts, on dressa les plateaux chargés de fruits, puis quelques dames demeurèrent près du feu qu’on venait d’allumer et déclarèrent qu’elles accompliraient seules les derniers rites culinaires. Les autres reçurent leur congé et s’éparpillèrent comme une bande d’écoliers en vacance.

Le bocage se peupla soudain et aux endroits où quelque lièvre se tenait généralement à couvert en réfléchissant à la dernière frayeur qu’il avait eue, où les « pique-bois » avaient coutume de nettoyer les tronc d’arbre, où les écureuils se pourchassaient avec leurs petits cris perçants, on entendait des phrases de ce genre, selon les personnages qui parlaient : « Je trouve qu’Ernestine commence à se prendre beaucoup trop au sérieux »… « et cette petite Marcelle Doré, qui se croit quelque chose, parce que son frère va à l’université »… « le docteur Ducondu a une superbe résidence, je ne sais s’il la vendrait »… « retournez-vous bientôt en ville »… « oh ? mademoiselle, je regrette que