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çait à perdre contenance. Le visiteur se rassura et la confiance lui revint. Il ne savait pas cependant comment exprimer l’objet de sa visite et c’est Dulieu qui lui demanda, après qu’ils eurent échangé quelques paroles de reconnaissance : « êtes-vous venu me voir par affaire, monsieur Beaulieu ?  »

— Oui, répondit en hésitant le cultivateur,… c’est-à-dire que… je voulais vous parler de ma terre.

— Ah ! vous voulez vendre ?

— Bien, j’aimerais à savoir combien vous me donneriez.

— Arthur, cria Dulieu à un de ses commis, apportez donc les offres de terrains que j’ai reçues de Saint-Augustin.

— Ah ! vous avez reçu des offres, dit le père Beaulieu.

— Oui, répondit négligemment l’agent d’immeubles, qui n’en avait reçu aucune, mais qui avait une liasse de papiers lui servant en pareil cas à faire croire aux clients que leurs voisins voulaient vendre leurs propriétés. Il avait constaté plus d’une fois que c’était un excellent stratagème pour faire baisser les prix.

Il feuilleta avec soin les papiers et jeta quelques chiffres sur un carnet, semblant faire un calcul fort compliqué. Pendant ce temps, un garçon stylé expressément pour donner une haute idée de l’importance des transactions qui se faisaient dans le bureau, parlait à un autre garçon, assez haut pour être entendu par le père Beaulieu, de l’achat d’une propriété valant trois cent mille piastres que venait de conclure Dulieu.

Le père Beaulieu avait peine à en croire ses oreilles et il n’osait remuer, devenu tout à coup fort intimidé, dans ce sanctuaire de la haute finance.

Dulieu lui dit enfin, d’un ton de voix fort naturel qui le troubla, cependant : « combien votre terre contient-elle d’arpents ? »

Le père Beaulieu lui donna le chiffre.

« Alors », dit Dulieu, « je pourrais vous donner six mille cinq cents piastres ; c’est mon dernier prix ».

L’énoncé des chiffres fit revenir le père Beaulieu à lui-même et il entama la discussion. Il désirait mille piastres de plus, mais Dulieu ne voulait pas en démordre du chiffre qu’il avait fixé.

Le cultivateur représentait qu’il faudrait faire des frais de déménagement, qu’il venait de faire sa récolte.

« Votre récolte », dit Dulieu ; « mais vous l’emporterez, je n’en ai pas besoin : que voulez-vous que j’en fasse ? »

Finalement, « on coupa la différence par la moitié », — selon le langage employé par un grand nombre de gens d’affaires, — et le père Beaulieu dit qu’il accepterait sept mille piastres.

Dulieu, devenu tout à fait de bonne humeur et même communicatif, rappela au père Beaulieu leurs conversations de l’été, lui parla de ses enfants, s’informa de la santé de sa femme. Il lui dit confidentiellement : « j’ai une bonne affaire pour vous, monsieur Beaulieu, si vous décidez de venir à la ville, une épicerie de première classe, située