Page:Mousseau - Mirage, 1913.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 28 —

dans un quartier où il y a une bonne clientèle. Je vous vendrais cela bon marché, vous feriez des affaires d’or et vous auriez encore une jolie somme de reste. C’est un travail facile et agréable : les gens viennent chez vous tous les jours, car on a toujours besoin de quelque chose chez l’épicier. Vous m’en direz des nouvelles ».

Le père Beaulieu représenta qu’il ne connaissait pas le commerce d’épicerie.

« Oh ! c’est facile », dit Dulieu, « vos enfants vous aideraient. Je vous laisserais un de mes employés pendant le temps nécessaire pour vous mettre au courant ».

— Est-ce que vous tenez épicerie, demanda naïvement le père Beaulieu, avec beaucoup de déférence, car dans les campagnes on a une grande considérations pour les marchands, qui sont des personnages importants.

— Non, répondit Dulieu, qui ne put s’empêcher de sourire, c’est un client qui m’a chargé de vendre cette épicerie pour lui. Il se contenterait d’un prix fort modéré.

On comprend que le père Beaulieu était en proie à une excitation intense quand il sortit de chez Dulieu. Sept mille piastres ! Jamais de la vie il n’avait cru qu’il posséderait une pareille somme ! Il se retenait à grand’peine d’accoster les passants pour leur faire part de la joie dont il était transporté. Il avait hâte d’arriver chez lui et de tout raconter à sa femme et à ses enfants. Il se figurait quelle serait leur stupéfaction et leur joie.

Il avait dit par quel train il reviendrait ; à son arrivée à Saint-Augustin, il trouva Henri qui l’attendait à la gare. Quelques curieux qui avaient eu vent de son voyage étaient là aussi. Il les évita et prit avec Henri le chemin de sa demeure.

On l’attendait chez lui avec une vive impatience… Tous étaient dehors, scrutant anxieusement la route par laquelle devait revenir le voyageur. Ce fut Marie qui aperçut la première la voiture dans laquelle étaient les deux hommes. Elle se rendit jusqu’à la route, avec sa mère et son frère Joseph, pour avoir plus vite des nouvelles.

Le père Beaulieu était ému et c’est avec difficulté qu’il dit : « il est prêt à l’acheter ».

« Il » c’était Dulieu, et tous les membres de la famille comprirent. Le père Beaulieu entra silencieusement dans la maison et on le suivit, aussi sérieux que s’il s’était agi d’une mauvaise nouvelle, car on ne s’attendait pas à un succès si prompt. Le père Beaulieu alluma sa pipe et on se mit à causer. Il raconta sa visite chez Dulieu et demanda l’opinion de tous sur le résultat qu’elle avait eue.

Joseph fut le premier à parler. Il aimait l’argent et la mention du chiffre de sept mille piastres l’avait bouleversé. « On peut faire ben de quoi avec ça », dit-il sentencieusement.

Marie regrettait d’avoir à quitter Saint-Augustin et les amies qu’elle y comptait, mais l’idée de faire connaissance avec la ville lui souriait assez.