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Pierre Plante », que Philias Ladouceur avait eu deux beaux poulins de sa jument blanche, que Pierre Lacroix avait vendu son cheval rouge qu’il ne voulait pas nourrir pendant l’hiver, que Jean-Baptiste Blanchard avait « foutu une volée » à sa femme, un jour qu’il s’était enivré, avec le résultat qu’elle s’en était allée chez sa mère.

Il avait beaucoup plu, à Saint-Augustin, et le père Duverger craignait que cela n’eût « abimé la terre ».

Chaque question du père Beaulieu et chaque réponse de son interlocuteur faisait surgir une figure familière ; l’épicier se taisait, de temps à autre, et fermait les yeux, pour voir en imagination celui ou celle dont ils parlaient.

Marie s’informa de Madame Doré et de Marcelle. « Elles doivent s’ennuyer toutes seules, tout l’hiver », dit-elle au père Duverger. « Elles ne sortent avec personne. »

— Elles attendent monsieur Arthur, répondit le cultivateur.

— Mais il n’ira chez lui qu’à Noël.

— Cela ne fait rien ; elle se préparent à le recevoir.

— Elles l’aiment beaucoup.

— Oui, il est bien chanceux. Je ne sais pas ce qu’il ferait s’il n’avait pas quelqu’un qui prenne soin de lui comme cela. Elles ne vivent que pour lui.

« Quand allez-vous venir nous voir ? » demanda ensuite le père Duverger à l’épicier. « Je n’en sais rien », répondit celui-ci ; je ne viens que d’arriver, je craindrais de m’absenter maintenant.

— Vos enfants peuvent garder le magasin, dit le père Duverger. Vous devriez venir chez nous pour les fêtes.

— Je crois que je serai obligé de passer la Noël ici.

— C’est dommage, les amis auraient aimé à vous voir au village.

Le père Beaulieu eût bien aimé, lui aussi, à revoir ses amis du village, mais il ne le pouvait pas. Il poussa un soupir de regret et le père Duverger n’insista pas, voyant qu’il lui causait inutilement du chagrin.

Le visiteur repartit le lendemain ; Louis vint le prendre pour le reconduire à la gare. On avait un peu la nostalgie de Saint-Augustin chez les Beaulieu, après en avoir causé pendant toute une soirée, et on fit promettre à Louis de revenir le lendemain. Le jeune homme était un ami, un concitoyen, et sa présence faisait du bien aux nouveaux montréalais, qui le considéraient comme un souvenir vivant de leur village natal et qui recherchaient particulièrement sa compagnie quand leurs pensées se tournaient vers la vieille maison en bois et les champs un peu parsemés de pierres mais si beaux quand même de Saint-Augustin.

Louis revint donc chez Beaulieu, où il prenait autant plaisir à venir qu’on en avait à le recevoir. Étant absorbé par ses études et ne fréquentant guère les salons, il aimait du moins à se trouver dans un intérieur ami, où il pouvait se délasser un peu.