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l’expansion de la ville devait aller encore plus rapidement qu’elle n’était allée jusque là, et ils escomptaient déjà leurs profits.

L’argent fait rapidement se dépense facilement ; les plus hasardeux agissaient comme s’ils eussent été des richards et on parlait de tel propriétaire qui, voyant son voisin acheter une automobile, avait vendu sa maison pour en acheter une lui aussi. La machine s’était tout de suite détraquée ; après l’avoir payée deux mille piastres, il avait dû la sacrifier pour cinq cents !

Tous ces propos semblaient étranges aux cultivateurs, habitués à réfléchir longuement, avant de faire la moindre dépense et de risquer la plus petite somme. Ils en étaient très émus, mais, ils se demandaient parfois s’ils étaient dans un monde réel et si tous ces chiffres et toutes ces fortunes réalisées en si peu de temps n’étaient pas des fantasmagories.

On était au commencement de l’hiver et le père Beaulieu songeait qu’à Saint-Augustin les cultivateurs se reposaient, à cette époque, après les labeurs d’automne et le battage du grain, en attendant la neige pour les charroyages. Il comparait avec les paisibles travaux des cultivateurs la besogne d’un épicier, qui lui semblait exiger une activité fiévreuse, et il se demandait si, après tout, leur lot n’était pas le meilleur.

Il en était là dans ses réflexions quand il reçut la visite du père Duverger, de Saint-Augustin, au commencement de décembre.

Louis Duverger était venu à plusieurs reprises voir ses concitoyens de Saint-Augustin. Il n’était pas enorgueilli de son titre d’étudiant et il était venu causer familièrement avec le père Beaulieu et ses amis d’enfance, Henri, Joseph et Marie, Son père avait acheté une couple de maison à Montréal et il venait retirer ses loyers, à l’automne ; c’était la raison de son voyage à Montréal. Louis avait accompagné le père Duverger chez l’épicier, qui les reçut tous deux avec un vif plaisir. Le père Beaulieu aimait toujours à recevoir Louis, dont la conversation amusait ses enfants et qu’il voyait avec un secret espoir causer avec Marie, mais la visite du père Duverger était pour lui un événement particulièrement heureux, car il allait pouvoir s’entretenir des gens et des choses de Saint-Augustin, choses et gens auxquels il s’intéressait encore beaucoup plus qu’à tous les événements de la grande ville où il demeurait.

Le père Beaulieu ne voulut pas que son concitoyen se retirât ailleurs que chez lui en dépit de la gêne que cela imposait, car s’il y a toujours de la place pour un de plus à la campagne, ce n’est pas la même chose à la ville, où les maisons ne sont guère aménagées au point de vue de l’hospitalité.

Le père Duverger accepta l’invitation qu’on lui faisait avec tant d’insistance. Le soir venu, on s’installa dans l’épicerie, comme autrefois, à la veillée, après le « train » fait, et on parla du bon vieux temps. Le père Duverger dut renseigner son hôte sur tout ce qui se passait au village et le père Beaulieu apprit avec intérêt que « Joséphine à Catherine » était morte, qu’Amanda Perreault s’était mariée avec « Joseph à