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couraient derrière les vitraux animés d’une vie étrange et d’où s’échappaient les accords puissants, assourdis par les murailles, des orgues, et des voix humaines chantant l’hosanna.

Ils s’endormirent d’un profond et bienfaisant sommeil, qui mit fin aux sentiments douloureux qu’ils n’osaient se confier.

Dormez pauvres gens, dormez dans la nuit noire où l’on trouve l’oubli : Dieu a fait le sommeil pour les malheureux.

Sur la route blanche, éclairée par le luminaire des étoiles, sur la route où souvent le père Beaulieu avait conduit sa famille, des familles entières passaient, dans des carrioles aux gaies sonneries. Elles se dirigeaient vers l’église de Saint-Augustin.

Les sonneries des carrioles répondaient au carillon des cloches de Noël. Les échos de la nuit étaient éveillés par des bruits inusités et joyeux.

On s’interpellait d’une voiture à l’autre, car à la campagne tout le monde se connaît. « Belle nuit eh ! Pardonnez-moi si je passe devant, mais « la blanche » est fringante ce soir. Comment va la famille ? Il paraîtrait que nous allons avoir une belle messe de minuit. »

Ces propos s’échangeaient entre hommes. Les femmes, emmitouflées dans leurs « crémones », gardaient un silence digne.

Puis ce fut l’arrivée sur la place de l’église. Il y eut bientôt une longue file de voitures le long des poteaux auxquels on attachait les chevaux et une foule compacte peupla les abords du temple dont les fenêtres ogivales laissaient passer des rayons d’une lumière douteuse provenant de l’éclairage à giorno de l’intérieur avec des lampes à l’huile, — lampes qui luttaient de leur mieux contre l’obscurité de la nef. Mais le chœur était éblouissant de mille cierges et avait fort belle apparence. Un Enfant-Jésus tendait les bras aux humbles et aux petits, sur la paille de sa crèche, dans une des chapelles latérales.

Le vestibule s’emplit de piétinements, de gens qui échangeaient des saints et parlaient à voix basse parce que les portes conduisant à l’intérieur étaient presque constamment ouvertes. La nef s’anima et les bancs continrent bientôt toutes les familles de la paroisse.

De joyeux qu’ils étaient les braves cultivateurs, leurs femmes, leurs filles et leurs fils devinrent sérieux et recueillis. Un souffle d’attente et d’émotion passait sur les fronts inclinés.

Un chant s’éleva alors, un chant de triomphe entonné par un paysan, par un de ceux qui assistèrent, à Bethléem, à la naissance de l’Enfant et qui lui donnèrent, ainsi qu’à sa mère, l’hospitalité que Lui avaient refusé les riches et les superbes. L’orgue vieillot, dont les notes étaient rudes comme la voix du chanteur, frémit sous les doigts de l’organiste ; une clameur d’allégresse s’échappa des tuyaux rouillés.

Cette musique simple alla au cœur des simples qui l’écoutaient.

« Minuit chrétien », disait la voix fruste mais puissante et belle, « c’est l’heure solennelle »

« Où l’Homme-Dieu descendit jusqu’à nous. »